Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
20 avril 2021 2 20 /04 /avril /2021 10:24
Quelques réflexions sur Covid et vaccins

L’Union des Familles Laïques (UFAL), association familiale, a créé Laïcidade une chaîne de baladodiffusion qui comprend une émission principale du même nom et des émissions satellites comme « Laïkino », « I tréma » et « Scientia ». L'UFAL m'a demandé d'animer Scientia, et c'est ainsi que j'ai eu l'occasion de parler de l'actualité de la vaccination contre le Covid-19 pour tenter de mettre un peu de science (et d'humanisme) dans un débat très confus, et pour tout dire assez médiocre. Je n'aurai pas l'outrecuidance de prétendre qu'il sera moins médiocre après mon intervention, mais j'ose espérer qu'il sera plus clair.

Pour celles et ceux qui n'ont pas trouvé le chemin de l'UFAL et de sa chaine de baladodiffusion, je me permets de retranscrire deux de mes billets sur le sujet Covid/vaccination ci-dessous.

Bonne lecture...

Parler de science en temps de crise sanitaire

C’est fou, on ne peut pas lire les journaux, on ne peut pas écouter ou voir un flash d’information quelconque sans qu’il soit question de vaccins et de vaccination. On pourrait croire que c’est parce que nous vivons au pays de Louis Pasteur, un des grands précurseurs de la vaccination. Mais c’est, hélas, plutôt dû pour une bonne part aux trop nombreuses personnes qui, par ignorance ou par fanatisme se prononcent haut et fort contre les vaccins et la vaccination, les « antivax ».

Nous sommes aujourd’hui dans un temps, pandémie et crise sanitaire obligent, où l’on n’a jamais autant parlé de vaccin, celui contre le virus responsable de la Covid-19, en particulier. Nous sommes également dans une situation paradoxale dans laquelle la recherche scientifique et les innovations qu’on en attend sont l’objet de tous les espoirs mais cristallisent en même temps toutes les critiques.

Pour autant, la communication à ce sujet est souvent fort mauvaise. Les scientifiques et les médecins, ou plutôt certains scientifiques et certains médecins en sont en partie responsables. Mais il faut avouer que trop de personnes, et notamment des politiques  ou des journalistes plus avides de scoops que de vérité scientifique, et prompts à provoquer la division en alimentant des querelles et polémique stériles… Trop de personnes, donc, s’expriment à tort et à travers. La liberté d’expression n’a pas et ne doit pas avoir de limites, mais elle est souvent bornée par l’inculture, l’incompétence ou le manque d’humilité. Difficile parfois de savoir d’où tous ces pseudo-communiquants s’expriment, et donc ce qui justifie les tombereaux de bêtises incohérentes qu’ils assènent à la population fragilisée par la pandémie, fragilisée par les grandes difficultés auxquelles cette pandémie les expose et les peurs qu’elle induit.

Personnellement, je n’ai pas de leçons à donner, mais juste un peu d’information et de réflexion que je peux partager en toute humilité, mais aussi avec la rigueur scientifique, je n’oserai pas parler de compétence, que m’ont donné ma formation de virologiste et de généticien, ma pratique de la recherche scientifique au sein du CNRS et de la réflexion éthique à laquelle m’a initié ma participation pendant neuf ans aux travaux du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé, le CCNE.

Dans mon livre récent « Quand la santé fait parler l’ADN », je faisais la remarque qu’ « aujourd’hui, la santé est devenue une préoccupation sociale majeure ; les scientifiques et les soignants, avec leurs savoirs techniques sont souvent ceux que la société interroge sur ce qui est bon pour elle. Elle leur demande des pistes pour élaborer son futur ». Et je posais la question suivante : « N’existe-t-il pas une certaine dictature des « sachants », qui en ferait une référence de ce qui peut, et doit être fait ? Est-ce à eux qu’il revient de décider en dernier lieu de ce qui est juste pour une vie bonne ? Peuvent-ils être garants de ce qui est éthique ? »

Poser la question, c’est probablement penser que la réponse doit être négative. Mais si l’on peut être d’accord avec le philosophe Jacques Maritain que « La vérité est que ce n’est pas à la science de régler notre vie, mais à la sagesse », la science, dans son domaine qui est celui de la connaissance peut nourrir cette sagesse. Rappelons-nous que si les scientifiques peuvent être un peu coupés du monde, difficilement compréhensibles, parfois un peu arrogants, peu d’entre elles et eux sont fous ou ont passé un pacte avec le diable. Comment alors expliquer la défiance de certains vis-à-vis de la science et des scientifiques, défiance alimentée, certes, par les tendances complotistes de certains médias ? Comment faire pour que nous toutes et tous retrouvions la confiance en la science et ce qu’elle peut apporter à notre mieux être et au progrès de nos sociétés, progrès social en tête ? Dans un texte sur l’idée de progrès, Etienne Klein nous disait : « n’attendons pas tout, ni de la science, ni de son rejet. Car ni la science ni la négation de la science ne choisiront l’avenir à notre place ».

Parlons vaccination et vaccins

Je voudrais tenter de rappeler à quoi sert un vaccin et en quoi les vaccins à ARN sont différents des vaccins classiques.

Nous sommes en permanence exposés à des substances ou des organismes qui nous empoisonnent ou nous rendent malades. Heureusement pour nous, l’immunité nous donne la capacité de résister à l'action d'un poison ou d'un agent pathogène. Cette immunité peut être naturelle ou acquise. Acquise, elle peut l’être de façon spontanée à la suite d'une première exposition, une primo-infection que nous avons vaincue, ou artificiellement au moyen d'un vaccin.

Le nom même de vaccin nous reporte au XVIIIe siècle et à l’anglais Jenner qui eut l’idée d’utiliser le virus de la vaccine pour protéger les humains de la variole, maladie qui faisait alors des ravages. Cette histoire est belle aussi parce que ce fut un succès médical, permettant l’éradication totale de la maladie grâce à cette simple vaccination. Donc, ça fonctionne bien, en fait plus ou moins bien, mais toujours pour le mieux de notre santé. Dans nos contrées, on s’est ainsi débarrassé de la poliomyélite, en grande partie de la tuberculose et d’autres maladies parfois mortelles. Dans tous ces cas, le vaccin utilisé était l’agent infectieux lui-même, virus ou bactérie, atténué ou inactivé. C’est aussi la voie que les chinois ont choisie contre la Covid-19  avec les laboratoires Sinovac et Sinopharm.

D’autres vaccins sont et ont été utilisés qui mettent en œuvre des protéines, comme les toxines tétaniques ou diphtérique qui nous protègent efficacement contre le tétanos ou la diphtérie. Qui voudrait prendre encore le risque de mourir, dans des conditions atroces, de ces deux maladies ?

Les progrès technoscientifiques nous donnent accès à des protéines produites par génie génétique, contre la grippe ou l’hépatite B. Le groupe français Sanofi développe avec le Britannique GSK un vaccin utilisant une protéine du Sars-Cov-2, fabriquée cette fois par ingénierie génétique qui viendra enrichir la panoplie d’outils pour lutter contre la Covid-19.

On sait également faire produire par nos cellules ces fameuses protéines qui vont activer notre système immunitaire grâce à des virus dits recombinants, organismes génétiquement modifiés pour éliminer des gènes qui pourraient les rendre dangereux pour nous. Cette approche a été utilisée contre la maladie d’Ebola, par exemple. Elle l’est aussi dans le cas de la Covid-19 avec le vaccin d’AstraZeneca, de Johnson & Johnson ou du russe Spoutnik.

Mais les premiers vaccins anti-Covid-19 arrivés en Europe sont d’un autre type, entièrement nouveau, on les appelle vaccins à ARN messager. Les ARN messagers sont des molécules naturelles, universellement utilisées pour la transformation du message génétique (nos gènes) en protéines qui sont les chevilles ouvrières du fonctionnement de nos cellules. Les virus utilisent aussi ces messagers pour fabriquer leurs propres protéines. Bien sûr, mettre à profit cette extraordinaire mécanique pour nous défendre contre les maladies n’avait rien de simple ni de facile. Il a fallu beaucoup de temps et beaucoup de recherches, et on peut citer celles d’une biochimiste hongroise, Katalin Karikó, pour rendre ces ARN messagers utilisables en médecine, pour diminuer les réactions inflammatoires exacerbées qu’ils peuvent induire, pour les stabiliser puisqu’ils sont naturellement très labiles, très fragiles. D’ailleurs, le vaccin Pfizer bioNtech, malgré toutes les protections, reste très fragile et nécessite d’être conservé à -70°C, ce qui ne rend pas aisés son stockage et son injection en masse. Par contre, celui de Moderna se contente d’une température de stockage de -25°C.

Efficacité ou précipitation ?

Ce qui a frappé tous les observateurs, c’est le délai très court qui a séparé la découverte du nouveau virus, ce fameux Sars-Cov-2, et l’arrivée sur le marché de vaccins efficaces contre la maladie. Alors qu’on restait sur l’idée qu’il fallait des années pour mettre au point de tels outils, en faire les nécessaires essais cliniques, et en obtenir les agréments sanitaires, quelque mois ont suffit dans le cas de la Covid-19… Comment cela a-t-il été possible ?

Cette fabuleuse histoire illustre les progrès que la génétique, en particulier, a accomplis ces dernières années. Dès le virus identifié et isolé, les scientifiques ont été capables de déchiffrer son matériel génétique, de l’ARN dans le cas d’espèce, de reconnaître et de comprendre les gènes qui le constituent. Grâce à toutes les recherches faites sur les Coronavirus déjà connus, nous avons su très vite quelle pouvait être une bonne cible pour préparer des vaccins. Il s’agit de la protéine par laquelle le virus s’accroche à ses cellules cibles, lui permettant d’y pénétrer et de s’y reproduire. Disposant de la séquence du gène, nous avions tous les outils en main pour préparer en laboratoire les réactifs nécessaires à l’élaboration de vaccins. Pas besoin de multiplier le virus dans des cultures cellulaires, pas besoin d’en purifier la protéine en question, des processus très longs et couteux. Fabriquer de l’ARN messager est un processus relativement simple, bien rôdé, et très rapide. Si on y met beaucoup d’argent, ce qui fut le cas, pas de problèmes pour en fabriquer les quantités nécessaires à vacciner des millions de personnes.

Etant donné que nous étions en pleine pandémie, pas de problèmes non plus pour trouver les sujets d’une étude clinique de grande ampleur, 43 000 personnes dans le cas de BioNTech-Pfizer et plus de 30 000 pour Moderna, avec des suivis d’environ deux mois lors de la demande d’agrément auprès des autorités sanitaires.

Compte-tenu de la crise sanitaire, ces autorités de santé ont mis en place une méthodologie d’analyse des dossiers cliniques d’une grande efficacité qui a permis d’accélérer le processus d’autorisation sans que cela soit au détriment de la sécurité des personnes. Le CCNE a dit que le contexte pandémique a créé une situation d’urgence qui a déterminé une réactivité exceptionnelle pour parvenir au vaccin. Bien sûr, de nombreuses critiques, alimentées parfois par des fuites notamment au sein de l’Agence Européenne du Médicament, l’EMA, faisant état de pressions diverses, du pouvoir politique européen en particulier, ont tenté de jeter un discrédit sur les procédures d’autorisation. Mais à part semer le doute dans les esprits, ces polémiques stériles et surtout peu compréhensibles par un public non ou mal informé ne font que nourrir les lobbies anti-vaccin. J’y vois, personnellement, la trace d’un légitime et nécessaire dialogue entre ces autorités sanitaires et les concepteurs et fabricants de ces vaccins révolutionnaires.

Enfin, les entreprises ont accepté de prendre des grands risques financiers en lançant la production à grande échelle de leurs vaccins avant d’avoir toutes les autorisations, ce qui a, là encore, fait gagner beaucoup de temps.

Donc, aucune précipitation, mais une rapidité et une efficacité permises à la fois par les avancées de nos connaissances scientifiques, notamment en virologie, par les techniques extrêmement performantes de la génétique la plus moderne, par les financements incroyables mis sur la table pour répondre à l’urgence sanitaire, et par les capacités de production de l’industrie pharmaceutique.

Bien, c’est vrai que ce qui est nouveau et qui va vite a tendance à faire peur. Cela a toujours été… Rappelons-nous Pasteur et son vaccin contre la rage ! Mais rappelons-nous également que nous sommes, face à la Covid-19 dans une situation de vraie urgence sanitaire. Si ce n’est pas, bien évidemment, une excuse pour faire n’importe quoi, c’est une justification suffisante pour ne pas perdre de temps. Les malades vieux et jeunes, parfois hospitalisés en service de réanimation, celles et ceux qui subissent les séquelles de la maladie depuis des mois, mais aussi les proches de personnes que la maladie a emportées, ne comprendraient pas que l’on tergiverse alors qu’un outil de lutte potentiellement très efficace contre la maladie est là, prêt à être utilisé.

Risques ou danger ?

A cela, je sais, certains vont dire : « oui, mais il y a des risques ! » C’est vrai, mais toute entreprise médicale, et plus généralement toute entreprise humaine est associée à des risques. Il y a les risques auxquels on ne prête pas ou plus attention, comme traverser la rue, prendre sa voiture, fumer ou boire de l’alcool.

Le risque a la propriété d’être quantifiable, ce qui devrait nous aider à décider ce qui est acceptable compte-tenu d’un bénéfice attendu. Mais pour ce faire en toute conscience, il faudrait que les statistiques nous parlent, et c’est rarement le cas. Un risque de 1% de ceci ou cela, gênant, grave ou mortel peut nous faire oublier qu’il y a 99% de chances qu’il ne se passe rien. C’est en prenant des risques, en nous faisant prendre des risques que la médecine a permis d’améliorer la vie des humains et de la prolonger dans des proportions inenvisageables il n’y a pas encore si longtemps.

En matière de vaccination, et donc de prévention, nous avons l’impression d’être face à une équation impossible. Il y a le risque d’attraper le virus, celui d’en être malade, le risque qu’il s’agisse d’une forme grave, voire mortelle. Face à cela, il y a le risque de se faire piquer, celui réel même peu fréquent de réagir négativement à l’injection avec des effets connus et documentés tels que fièvre, mal de tête, nausées qui peuvent être également des effets secondaires d’une soirée bien arrosée, et qu’on accepte alors plus facilement sous le nom de gueule de bois. Et puis, il y a, et il ne faut pas le taire, le risque, beaucoup plus faible, d’effets adverses plus sérieux pouvant conduire jusqu’au décès de la personne vaccinée. Tout ceci est connu, très documenté, et les médecins comme les autorités de santé peuvent et doivent nous en informer et, dans la mesure du possible, nous aider à limiter ce risque. On ne vaccine pas un sujet poly-allergique ou une personne très âgée et fragile comme on peut le faire pour une personne en bonne santé et dans la force de l’âge.

Si l’on en revient aux 1% et 99% de tout à l’heure, il ne faut jamais oublier qu’en face du risque vaccinal, assez bien documenté et évaluable ou évalué, il y a le risque certainement pas moins important de ne pas se faire vacciner.

Mais il est vrai que la simple prise en compte de l'évaluation et de la gestion du risque, des risques notamment en matière de santé publique ne doit pas esquiver la question de son acceptation ou de sa non-acceptation. Il est alors question des aspects sociaux, juridiques, politiques, scientifiques, techniques, économiques et bien sûr éthiques associés. L’acceptabilité du risque trouverait ainsi son fondement dans la justification sociale des activités qui sont à l’origine du risque. Responsabilité individuelle et justification sociale pèsent sur la manière dont le risque est à la fois perçu et assumé, au nom et au bénéfice de quoi, et surtout de qui ? C’est dans ce qui peut apparaître comme une brèche dans la pensée que s’engouffrent les anti-vaccins qui, loin d’argumenter sur des risques vrais, se contentent d’agiter des peurs. Rappelons-nous l’adage populaire et néanmoins vrai que la peur n’évite pas le danger.

Le choix éthique et solidaire de se faire vacciner

Maladie nouvelle, vaccins nouveaux, fulgurance des avancées scientifiques, progrès médicaux, mais aussi manque de confiance, peurs, risques… Il y a tout cela dans la prévention de la maladie grave qu’est la Covid-19. Tout cela, et bien plus !

Notre individualisme naturel nous fait croire que c’est le JE qui est en cause. Ma liberté, MON choix. Je ME vaccine ou pas. Après tout, c’est de MA santé qu’il s’agit.

Et bien non ! L’acte de vaccination est un acte de santé publique. Ce n’est pas de moi, pas seulement de moi qu’il s’agit, c’est de NOUS. Pour permettre que je ne risque quasiment plus rien face à la variole, il a fallu de des millions de personnes acceptent d’être vaccinées pour que la maladie disparaisse.

Dans le cas de la Covid-19, si l’on ne sait pas encore exactement quel niveau de vaccination est nécessaire pour limiter significativement l’infectiosité du virus Sars-Cov-2, on sait que la recherche d'une immunité collective par le biais d'une infection naturellement acquise n'est pas une stratégie envisageable. Ce qui est en train de se passer dans certaines régions du Brésil le démontre. La vaccination n’est donc pas une option, ce n’est pas un choix individuel, mais une nécessité de santé publique, une obligation solidaire et éthique

Plus qu'une volonté, la solidarité peut être perçue comme résultant d'un lien social a priori. Solidarité a la même étymologie que "solide" et "seul". On y trouve donc à la fois la notion d'entièreté, de tout, de cohésion et de la force qui en résulte. La cohésion sociale nait d'un lien créé/accepté au titre d'une obligation solidaire, elle recouvre la notion d'interdépendance, de dépendance mutuelle entre personnes ayant ou ressentant le besoin qu'ils ont les uns des autres. En cela, la solidarité se distingue de la générosité qui n'implique aucun lien a priori et qui participe d'une démarche individuelle. Pour autant, la reconnaissance d'une dépendance, d'une interdépendance entre personnes n'oppose pas, ne doit pas opposer formellement solidarité et liberté, sauf à faire de cette dernière un absolu fondé strictement sur un choix individuel.

Si la solidarité, ce que notre devise nationale nomme Fraternité est un principe éthique fondamental, en particulier en matière de vaccination et plus encore lorsqu’il y a urgence sanitaire et vaccinale, l’ensemble de la réflexion éthique doit nourrir les actions publiques dans ce domaine, ce qu’on nomme la stratégie vaccinale. Tout faire pour qu’une politique de santé et/ou de recherche puisse réellement exister, en particulier dans le domaine de la santé publique, est indispensable, mais il faut être conscient qu’elle est souvent restreinte à l'art du possible, alors que l'éthique tente de l'amener à « l'art du meilleur ». En d'autres termes, l'éthique n'est pas responsable de dire le « bien », mais de faciliter le développement de ce que la société veut mettre en place en termes de « vie bonne », de vie meilleure lorsqu’on est en période de crise sanitaire grave comme c’est le cas aujourd’hui.

Ainsi que je le dis souvent, la réflexion éthique qui a pour fonction d’interpeler les modes de pensée et d’agir, de remettre en question les certitudes, les pouvoirs, les pensées dominantes et les modes, se doit d’être indépendante et plurielle, laïque en quelque sorte, afin de lever les tabous et empêcher que certaines questions, y compris les plus difficiles, ne soient pas posées.

Covid-19 et ses vaccins, on n’a pas encore le c… sorti des ronces

La vaccination anti-Covid-19 reste un sujet d’inquiétude pour nous tous, et un sujet de polémique à l’heure où un vaccin, celui d’Astra-Zeneca est mis en quarantaine par plusieurs pays, notamment européens. Inquiétude, polémique, voilà qui confirme ce que disait le professeur François Renaud en décembre dernier : Jamais vaccin n’a fait autant parler de lui.

Il précisait sa pensée en disant : « Il faut avouer que si les scientifiques avaient voulu saboter leur travail de recherche ils ne s’y seraient pas pris autrement. Bien aidés d’ailleurs par une mauvaise communication de la part des politiques et par les chaines d’information en continue toujours promptes à provoquer de la division « Le vaccin nouveau est arrivé » (comparaison à peine voilée à notre beaujolais). Il suffit de le dire et d’accompagner ses propos par un étonnement sur la rapidité de la mise au point pour que des milliers, voire des millions d’internautes s’improvisent biologistes expérimentés et déversent sur les réseaux sociaux des monceaux de bêtises incohérentes ».

C’est vrai qu’il est un peu difficile de s’y retrouver avec tous ces vaccins différents utilisés, testés, étudiés, autorisés ou pas encore, reposant sur de technologies différentes auxquelles la majorité d’entre nous ne comprend pas grand’ chose. Un adage populaire dit qu’abondance de bien ne nuit pas. Ces vaccins sont peut-être un contre-exemple !

Je me rappelle, dans les années soixante. Il n’était pas question de Covid, mais de poliomyélite. La confusion venait du fait qu’il y avait DEUX vaccins. Deux, c’est moins que beaucoup, mais c’était déjà trop. Il reste que, grâce à ces deux vaccins, le vaccin Salk injectable et le vaccin Sabin ingérable, la polio a quasiment été éradiquée.

Incidemment, rappelons que les inventeurs de ces deux vaccins avaient renoncé à les breveter afin de permettre leur diffusion rapide au plus grand nombre. Eh oui, il y a des gens biens même chez les scientifiques et les médecins…

Quasiment éradiquée, la polio, mais il reste des accidents vaccinaux, parfois gravissimes qui n’ont pourtant pas fait interrompre les campagnes de vaccination. Quasiment mais pas totalement en 30 ans. Pour le Covid-19, on en est à trois mois, alors, un peu de patience ! C’est difficile, la patience quand la maladie tue chaque jour en France autant de personnes qu’un crash d’un Airbus A350.

Même s’ils sont généralement d’une remarquable efficacité, les vaccins ne sont pas des baguettes magiques. Soyons non seulement patients, mais aussi un tantinet réalistes. La crise sanitaire due au Covid-19 est grave et profonde. Et elle risque de durer !

Sir Roy Anderson, épidémiologiste des maladies infectieuses à l'Imperial College de Londres a dit : « Le public doit prendre conscience que cette maladie ne va pas disparaître. Nous allons pouvoir la gérer grâce aux vaccins et à la médecine moderne, mais ce n'est pas quelque chose qui finira tout simplement par s'en aller ». Suivant le niveau de contamination que nous sommes décidés à accepter, ou plutôt que nos autorités sanitaire accepteront de nous faire subir, nous serons dans une politique zéro-Covid comme en Nouvelle-Zélande et quelques autres pays notamment en Asie, ou dans la situation de « vivre avec le virus », comme chez nous, avec une panoplie de mesures ou mesurettes et d’outils sophistiqués de surveillance moléculaire afin de suivre l'évolution du virus.

Dans le premier cas, l’option zéro-Covid, la vaccination est particulièrement efficace. Parce que la sélection de nouveaux variants, dont certain, comme le soi-disant variant anglais, sont plus infectieux ou, comme le sud-africain, échappent mieux aux vaccins, cette sélection est plus faible. Pour simplifier : moins de virus circulant è moins de variants èmeilleure efficacité vaccinale.

Dans le second cas, le vivre avec, on écope, on écope en espérant ne pas être submergés, et on prie pour être capables d’adapter les vaccins aux nouvelles souches virales. Ça devrait aller ! Il faut juste avoir de bons freins, et ce n’est pas évident !

De toutes façons, quelle que soit la politique sanitaire choisie par le gouvernement, il vaut mieux être vacciné que de prendre le risque de ne pas l’être. En offrant une protection immunitaire avec un maximum de sécurité, les vaccinations contre le Covid-19 accéléreront la diminution, sinon le contrôle, de la charge virale des populations pour le Sars-Cov2 et réduiront massivement le nombre de morts en cours de route. C’est une question de santé publique.

Alors, cette abondance de vaccin anti Covid-19, que faut-il en penser ? En premier lieu, je dirais : Beaucoup de bien ! En effet, elle signifie qu’il y a eu une mobilisation fantastique du monde médico-scientifique pour mettre au point en un temps record, des armes efficaces pour lutter contre la pandémie. Ne boudons pas notre plaisir de pouvoir dire un grand merci à tous les chercheurs qui ont rendu cela possible.

Ce n’est pas parfait, certes, mais rappelons à celles et ceux qui pensent que tout cela est bien trop dangereux, que c’est surtout ce fichu virus Sars-Cov2 qui est bien trop dangereux. Rien qu’en France, en a peine plus d’un an, plus de 4 millions de personnes ont été contaminées et plus de 90 000 en sont décédées. Et pas seulement des vieux !

L’OMS, organisation mondiale de la santé, a accordé le 31 décembre 2020 une autorisation d’utilisation d’urgence au vaccin Pfizer-BioNTech (BNT162b2). Le 15 février 2021, elle autorisait l’utilisation d’urgence de deux versions du vaccin AstraZeneca/Oxford fabriquées par le Serum Institute of India et SKBio. L’OMS prévoit d’autoriser d’autres vaccins au titre du protocole d’urgence d’ici juin prochain.

L’OMS collabore dans le monde entier que soient coordonnées les grandes étapes de ce processus, et notamment pour garantir un accès équitable aux vaccins pour les milliards de personnes qui en ont besoin.

Dès qu’un vaccin a donné la preuve de son innocuité et de son efficacité, il doit être homologué par des autorités nationales de réglementation, fabriqué selon des normes rigoureuses et distribué au plus grand nombre.

Quatre vaccins sont autorisés en Europe : ceux de Pfizer-BioNTech, de Moderna, d'AstraZeneca et de Johnson&Johnson. Ceux des Russes, le Spoutnik V, et des Allemands, le CureVac, sont toujours examinés par l'EMA.

Les vaccins chinois utilisent des virus tués ou très atténués, un peu à la mode Louis Pasteur. Ils répondent donc à un certain classicisme vaccinal. A part ceux-là, les différents vaccins utilisés ou en cours d’autorisation, ciblent tous une protéine, un constituant particulier du virus. Il s’agit de la protéine Spike qui permet au SARS-CoV-2 de pénétrer dans nos cellules. Comme elle est exposée à la surface du virus, Spike est accessible aux anticorps et aux cellules immunitaires de divers types, mais toutes habilitées à tuer. Des agents 00 en quelque sorte. Parce qu’on a su très rapidement séquencer les gènes du virus, et notamment son gène Spike, on a pu réaliser différentes opérations :

1°) Fabriquer en grande quantité la protéine dans un tube à essai pour l’utiliser comme vaccin. Mais ce n’est pas si simple et ce type de vaccin n’est pas encore disponible, sauf peut-être à Cuba.

2°) Fabriquer en grande quantité l’ARN messager qui permet à la cellule de fabriquer la protéine. On sait aujourd’hui stabiliser et injecter cet ARN et c’est la base des vaccins BioNTech et Moderna dont je vous ai parlé dans Scientia N° 1. Technologie très innovante et particulièrement efficace. Très peu d’effets indésirables graves jusqu’à présent. Mais l’ARN est fragile et nécessite de conserver les vaccins à très basse température. Cela ne simplifie pas la logistique. Et puis, nous ne disposons pas de suffisamment de doses pour vacciner en masse.

3°) Fabriquer un virus artificiel contenant le gène Spike dans son ADN. Il s’agit donc d’un virus génétiquement modifié, ce qui n’est ni un gros mot ni un outil intrinsèquement dangereux. Le support viral est généralement un adénovirus, ces virus auxquels nous sommes exposés tous les hivers et qui nous donnent des rhumes, entre autres. On dit qu’ils sont des vecteurs moléculaires destinés à transporter le gène qu’on souhaite d’un tube à essai ou d’une culture cellulaire jusqu’à nos cellules cibles. Utiliser l’adénovirus comme vecteur n’est pas une idée ni récente ni nouvelle. Je me rappelle qu’en 1974-75, le prix Nobel et directeur de l’Institut Pasteur Jacques Monod avait lancé un programme d’étude sur le sujet, très polémique déjà à l’époque. Pourtant, comme le fait remarquer Axel Kahn, généticien et président de la Ligue Nationale contre le Cancer, « cette technologie a peu d’antécédents chez les humains ».

Trois types d'adénovirus vecteurs du gène de la protéine Spike sont utilisés dans les vaccins anti-Covid19 approuvés ou en cours d’approbation :

  1. Un adénovirus de chimpanzé pour le vaccin d’Oxford/AstraZeneca,
  2. L'adénovirus 26 pour celui de Johnson & Johnson,
  3. L'adénovirus 5 pour le vaccin CanSinoBio développé en Chine,
  4. Les adénovirus 26 et 5 pour le vaccin Spoutnik V développé par l'institut russe Gamaleya. Pourquoi deux adénovirus différents ? La première injection du vaccin Spoutnik V contient un adénovirus 26 qui exprime la protéine Spike, et la deuxième injection, le rappel de vaccination se fait avec un adénovirus de type 5, dans l’espoir de limiter la réaction immunitaire contre le vecteur adénovirus et permettre au système immunitaire de se concentrer sur la protéine Spike qui est sa cible principale. Enfin, c’est ce que nous voulons !

Les vaccins Oxford/AstraZeneca et le vaccin Spoutnik sont administrés en 2 injections espacées d'au moins 3 à 4 semaines alors que les vaccins Johnson & Johnson et CanSinoBio sont administrés en une seule injection. Ces derniers sont donc, au moins sur le papier, plus faciles d’utilisation , en particulier en situation d’urgence sanitaire.

Le vaccin d’Astra-Zeneca est aujourd’hui au centre d’une controverse. Il est très efficace contre les formes graves, 100 %, et un peu pour les autres formes. Mais il est aussi connu pour provoquer des effets indésirables bénins, comme des réactions pseudo grippales contrôlables par du paracétamol. Il pourrait peut-être s’agir d’une réponse à l’infection bénigne par l’adénovirus de singe contre lequel nous n’avons, a priori aucun anticorps. Mais le problème n’est pas là. En effet, on a observé de très rares cas de problèmes graves, parfois mortels, de la coagulation dans plusieurs pays après vaccination par le vaccin d’Astra-Zeneca. Une trentaine de cas ont été rapportés. C’est peu sur des millions de personnes vaccinées, d’autant que la Grande Bretagne qui en a injecté plus de 20 millions de doses, n’a pas rapporté ces mêmes effets secondaires gravissimes.

Le 17 mars, le généticien Axel Kahn s’étonnait : « L’attitude de beaucoup de médecins, honorables confrères, m’a surpris. Ils se sont élevés avec véhémence contre l’interruption temporaire de la vaccination. Et quoi, on détecterait des risques faibles mais apparaissant hautement spécifiques d’accidents graves et on n’y regarderait pas de plus prêt ? Cela irait à l’encontre de toutes les règles de la pharmacovigilance de produits nouvellement sur le marché et risquerait de saper encore plus la confiance dans les autorités de santé.

Même si le rapport bénéfice-risque du vaccin Astra-Zeneca est très favorable, ce qui semble certain mais n’est qu’un des éléments du problème, l’avenir de son utilisation est fort compromis, sachant que de nombreux produits plus sûrs sont disponibles ou à venir ».

On se trouve ainsi confrontés au fameux et mal aimé principe de précaution, car c’est en son nom qu’on a interrompu l’administration du vaccin d’Astra-Zeneca dans plus d’une dizaine de pays, en Europe, certes, mais pas seulement puisque la Thaïlande et l’Indonésie ont stoppé le démarrage de l’utilisation de ce vaccin pour leur campagne vaccinale.

J’ai coutume de dire que ce principe de précaution a deux défauts ou problèmes principaux. Le premier est d’être qualifié de principe et le second est de mettre en scène la précaution dont nous avons, bien qu’il s’agisse de quelque chose d’instinctif, assez peu de notions. De fait il s’agit de la prise de décision publique en situation d’incertitude scientifique, comme le dit si bien de Comité de la Prévention et de la Précaution, dont je m’honore de faire partie. Mais, comme le titrait Le Figaro, « la politique n’arrive plus à distinguer le danger et le risque ». Comme l’écrivait la juriste Isabelle Veillard, « Le corollaire du principe de précaution en présence d’un risque avéré est le principe de prévention ; ainsi « la distinction entre risque potentiel et risque avéré fonde la distinction parallèle entre précaution et prévention ».

En présence d’un danger, donc d’un inconnu non quantifiable qui ne permet pas d’évaluer un risque, il faut apprendre à connaître le signal d’alerte afin de le comprendre. Ce principe de précaution est donc loin d’être une justification à l’inactivité, un simple stop, mais au contraire un appel à la science, à l’activité scientifique, à l’amélioration de notre niveau de compétence scientifique. Laissons donc les scientifiques sérieux nous dire si les problèmes attribués au vaccin d’Astra-Zeneca sont réellement liés à la vaccination, et, si oui, s’il est possible de déterminer quelles sont les personnes, ou plutôt les groupes de personnes à risque de développer des accidents de coagulation.

Devant subir une petite intervention chirurgicale, j’avais eu une discussion intéressante avec l’anesthésiste qui devait m’endormir. A la fin, il me dit : « il faut quand même que je vous parle des risques que vous connaissez sans doute. Vous savez qu’on peut mourir au cours d’une anesthésie ? ». Oui, bien sûr ! « Mais bon, vous avez plus de risques de vous faire écraser par un bus en sortant de l’hôpital ». La probabilité de se faire écraser en traversant une rue est extrêmement faible. Pourtant, cela ne nous empêche pas de faire attention en traversant cette rue.

Rappelons-nous, si nous avons la tentation de dire qu’après tout le risque est très faible et que le rapport bénéfice/risque reste très favorable, en un mot, si nous avons l’envie de céder à la tentation du moindre mal, rappelons-nous donc ce qu’en disait la philosophe Hannah Harendt : « Politiquement, la faiblesse de l'argument du moindre mal a toujours été que ceux qui choisissent le moindre mal oublient très vite qu'ils ont choisi le mal ».

Lors des Journées Nationales d'éthique, organisées par le CCNE en 2006, Didier Fassin nous disait que les « sociétés contemporaines ne cessent (…) d'inventer de nouveaux intolérables, c'est-à-dire de nouvelles frontières morales à ne pas transgresser, ce qui participe du reste de la construction d'une commune humanité – autour des valeurs de respect, de dignité et intégrité tant physique que sociale… » Il parlait d’intolérable, mais jusqu’où sommes nous prêts à repousser les limites de ce que nous sommes disposés à accepter, en termes de politique sanitaire, en particulier ? Pour répondre à cette question, il faut considérer l’impérieuse nécessité d’une vraie information en amont, du dialogue entre experts et politiciens, et d’une réflexion citoyenne sur le concept de « progrès » et de « régulation », en particulier au cours de l’émergence d’une technologie nouvelle ou d’un nouveau vaccin pour ce qui nous intéresse aujourd’hui. Et donc l’impérieuse nécessité du débat public. Certains appellent cela la transparence, je préfère le qualifier de démarche éthique.

 

Partager cet article
Repost0
11 mai 2020 1 11 /05 /mai /2020 12:25
La parenthèse ?

Aujourd’hui, le journal Le Monde publie, sous la plume d’Elisabeth Pineau et François Béguin, un article intitulé : « A l’hôpital, une parenthèse « extraordinaire » se referme ». La parenthèse dont il est question est celle d’un moment unique dans la vie des personnels et des services hospitaliers qui prennent en charge les malades les plus graves du Covid-19, celle d’un « fonctionnement miraculeux », d’une inventivité obligée et d’une autonomisation qui a modifié la façon de voir le métier de soignant tant de la part du public qui, de manière un peu dérisoire, applaudissait tous les soirs à 20 heures, que des soignants eux-mêmes. Une parenthèse qui a bénéficié d’un certain niveau de « largesses financières », dont Hélène Gros, médecin en infectiologie disait « Nous obtenions tout ce que nous demandions, jamais nous n’entendions parler de finance… Je me suis demandé s’il s’agissait d’un miracle ou d’un mirage ». Les journalistes du Monde évoquent l’appréhension des soignants qui ont l’impression que cette parenthèse-là se referme sans aucune assurance ce que deviendra le « plan massif d’investissement et de revalorisation en faveur de l’hôpital, promis par Emmanuel Macron, le 25 mars, à Mulhouse ». Appréhension de revenir à un monde où l’on n’arrête pas de nous dire que la santé n’a pas de prix mais qu’elle a un coût, un coût qu’il convient de contrôler, de réguler. Je proposais, dans « Quand la santé fait parler l’ADN… Les promesses et les enjeux éthiques d’une nouvelle révolution médicale » (Symbiose édition, 2019) qu’« il faut, à l’inverse, retourner la proposition en affirmant que la santé a un coût, certes, mais qu’elle n’a pas de prix, inférant que la valeur de la santé justifie le prix croissant que les progrès médicaux induisent ».

Mais l’épisode pandémique, toujours en cours, il faut le rappeler, fait appel, dans sa construction syntaxique, à de nombreuses parenthèses, dont certaines en précisent le sens et d’autres apparaissent-ou sont perçues- comme des digressions vouées à un retour à une pseudo-normalité témoignant plutôt de l’anormal.

Il faut aller visiter l’œuvre de Marcel Proust pour comprendre comment la parenthèse complexifie le récit, affine la description et brouille « l’organisation narrative », comme l’explique Isabelle Serça (« La parenthèse chez Proust : étude stylistique et linguistique », 1998). Paul Morand (« Le visiteur de soir », Floch, 1949), évoquait la phrase de Proust « étourdissante dans ses parenthèses qui la soutenaient en l'air comme des ballons, vertigineuse par sa longueur, (...) vous engaînait dans un réseau d'incidentes si emmêlées qu'on se serait laissé engourdir par sa musique, si l'on n'avait été sollicité soudain par quelque pensée d'une profondeur inouïe ».

La parenthèse de cinquante-cinq jours de confinement a déstabilisé tous nos récits, même le vécu de celles et ceux qui ne l’ont pas acceptée, qui se sont mis entre parenthèse de ce moment civique et solidaire. On leur avait parlé à tort de « distanciation sociale » alors qu’on ne voulait pas de perte de lien, mais établir des distances de sécurité. Un virus, fût-il « couronné » se moque bien du lien social ; seul l’intéresse le lien de proximité qui lui permet de se propager. A supposer qu’un assemblage macromoléculaire qui n’est pas en lui-même vivant mais se contente de le parasiter (le vivant), puisse être crédité d’une capacité à s’intéresser.

Cette parenthèse du confinement a ouvert à de belles réflexions humaines, comme celles de Cynthia Fleury (« Journal d’une confinée », dans Télérama), et de belles aventures humaine, pour certains au moins. Mais pour nombre d’entre nous, elle n’a pas été vue comme parenthèse, mais comme un épisode pesant, difficile, comme une épreuve supplémentaire dans une vie déjà difficile. On peut comprendre que soit ressenti que « Le sentiment premier, à l’annonce du déconfinement, est celui d’une réduction de peine » (Cynthia Fleury), qu’il s’agit d’une libération, oubliant qu’il ne s’agit sans doute que d’une remise de peine, d’une liberté sous caution et sous condition (certains veulent même nous placer sous bracelet électronique de surveillance). De ce point de vue, la parenthèse, si elle a bien été ouverte, au moins officiellement, ne se referme pas telle le procédé stylistique évoqué plus haut. Elle hésite, amène des points de suspension, risque de bégayer…

Oui, les cinquante-cinq jours de confinement ont bien été une parenthèse qui jamais ne permettra à la phrase de reprendre son cour comme si de rien n’était. Elle ne nous a pas toutes et tous changés de la même manière, mais elle ne laisse personne indemne. Et il faudra beaucoup de courage pour empêcher ceux qui veulent nous faire revenir au monde d’avant de nous y contraindre. Nous pourrions découvrir à nos dépends que le poids de cette contrainte pourrait être plus lourd que celui de ces cinquante-cinq jours.

 

Partager cet article
Repost0
29 janvier 2020 3 29 /01 /janvier /2020 13:48
L’invasion de la médecine par la génétique est sans doute un bien… Mais lequel ?

Merci à  l’espace de réflexion éthique du Grand-est, et tout particulièrement à sa coordinatrice, Hélène Gebel, qui m'a permis de  parler de sujets qui me tiennent vraiment à cœur, et qui, je l'espère, pourront intéresser au-delà de frontières de l'EREGE.

 

On n’arrête pas le progrès

 

Je commencerai  en citant Steven Pinker, professeur de psychologie à Harvard et polémiste partout ailleurs, qui a écrit : La recherche biomédicale sera toujours plus proche de Sisyphe que d’un train fou, et la dernière chose dont nous avons besoin est d’un lobby de soi-disant éthiciens qui aideraient à pousser le rocher vers le bas. Le but de la BIOETHIQUE est de permettre le progrès aussi longtemps que possible. Si elle ne peut réaliser cela, elle devrait rester en dehors du chemin.

Ce que Pinker oublie de nous dire, c’est ce qu’il considère comme un progrès.

Il est sans doute vrai que si l’on se limite à des considérations technoscientifiques, Pinker a raison d’affirmer que le monde n’a jamais été meilleur. Le physicien-philosophe Etienne Klein, qui se demandait grâce à quel nouveau symbole nous pourrions faire progresser l’idée de progrès, pense que le mot progrès pourrait n’avoir été inventé que pour nous consoler de la fuite du temps : Le temps passe, certes, mais il passe de mieux en mieux...

 

 

La science et la technologie au service de la santé

 

Un philosophe allemand, Peter Sloterdijk, un peu provocateur lui aussi, nous avertissait il y a quelques années : « plus qu'aucune autre civilisation auparavant, la nôtre s'est mise à déplacer les bornes frontières. La naissance devient planifiable, on peut ajourner la mort dans certaines limites, le corps devient opérable dans une dimension jusqu'ici inimaginable, la sexualité et la reproduction sont dissociées, les sentiments sont tempérés par la pharmacologie ». Il est vrai qu’à bien des égards, la médecine a toujours été fondamentalement une contestation technique, biotechnologique de l’ordre naturel. Elle nous conduit ainsi à accepter de plus en plus de mal les limites intrinsèques de nos capacités biologiques. Certains y voient un progrès… J’y vois un vaste questionnement.

Plus encore que la science qui fait évoluer le monde plutôt sur le long terme, les techniques, la technologie, bouleverse nos vies et nos rapports sociaux de façon considérable, rapide, donc dans le court et le moyen terme… Et avec parfois une intensité qu’il est difficile d’anticiper, voire de comprendre. Au cours des dernières années, on a vu ainsi l’informatique personnelle, Internet, la téléphonie mobile, les smartphones en particulier, se glisser pour envahir notre quotidien pour le modifier sans qu’il soit toujours possible de déterminer si c’est pour un mal ou un bien. Mais surtout sans qu’il y ait jamais eu de débat ou de réflexion de l’ensemble de la société à leur sujet.

C’est ainsi que les progrès technoscientifiques peuvent être, et sont bien souvent perçus comme de potentiels problèmes avant d'être compris comme des progrès pour l’humain. Norbert Wiener, l’inventeur de la cybernétique, l’exprimait en disant que nous sommes esclaves de nos progrès techniques. Avec lui, nous pouvons nous demander si nous ne sacrifions pas sur l’autel de notre « savoir-faire » (know-how) la recherche du sens de ce que nous faisons (know-what).

Rappelons-nous ce que disait l’astronome américain Carl Sagan : Nous vivons dans une société extraordinairement dépendante de la science et de la technologie, dans laquelle quasiment personne ne sait quoi que ce soit ni de la science ni de la technologie.

Il reste que la science a transformé radicalement la médecine en lui faisant dépasser son statut d’art médical pour devenir une « médecine fondée sur des données scientifiques probantes » (evidence-based medicine). Cette transformation a été accompagnée de progrès techniques, aussi bien médicaux que chirurgicaux, auxquels nous devons une vie plus longue et certainement meilleure. Qui pourrait nier en effet que la longévité moyenne a été multipliée par plus de trois en France depuis le XVIIIe siècle. Ce n’est sans doute pas une raison pour affirmer, ainsi que le font certains et comme on l’entend même dans une publicité actuelle, que l’humain qui vivra deux ou trois cents ans est déjà né. Quel sens cela a-t-il ?

La question de l’accroissement de la longévité est, pour moi, celle d’une amélioration de la qualité de vie, prise globalement et dans la durée. Disant cela, je ne fais suivre ce que disait Oscar Wilde : Il ne faut pas chercher à rajouter des années à sa vie, mais plutôt essayer de rajouter de la vie à ses années.

Le développement d’une vraie compétence médicale liée à l'intégration des innovations technoscientifiques qui permet de prendre en charge des phénomènes et des interactions de plus en plus complexes, sur les plans scientifique et médical mais aussi social, a conduit à une médicalisation de la société. La dimension politico-économique de la biomédecine, l'accent mis sur la santé (au niveau du risque et de la surveillance), la nature de plus en plus technique de la biomédecine, et les transformations dans la gestion et l’utilisation de l'information médicale interrogent plus encore qu’ils n’affirment l’origine, la nature et les conséquences des progrès auxquels elles sont associées.

La santé est un droit reconnu internationalement. La déclaration universelle des droits de l’homme adoptée le 10 décembre 1948 par l’Assemblée générale des Nations Unies, formule ainsi dans son article 25 : « Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l'alimentation, l'habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires ».

Dans l’esprit de chacun, la santé est non seulement un droit, mais un bien que l’on cherche à protéger, à préserver. Elle est, d’une certaine manière, devenue un devoir. On ne manque pas d’occasions de nous rappeler notre responsabilité vis-à-vis de la santé, de notre santé… Même les assurances s’en mêlent. Et pourtant, paradoxalement, dans un pays comme le nôtre, l’un des plus mauvais des pays occidentaux pour sa couverture vaccinale, moins de 2,5 % des dépenses de santé concernent la prévention…

La santé est un objet social difficile à définir. Jules Romains plaçait dans la bouche du Dr Knock les mots suivants : « Tomber malade, vieille notion qui ne tient plus devant les données de la science actuelle. La santé n’est qu’un mot, qu’il n’y aurait aucun inconvénient à rayer de notre vocabulaire. Pour ma part, je ne connais que des gens plus ou moins atteints de maladies plus ou moins nombreuses à évolution plus ou moins rapide. Naturellement, si vous allez leur dire qu’ils se portent bien, ils ne demandent qu’à vous croire. Mais vous les trompez ».

L’Organisation mondiale de la santé a donné en 1946 une définition qui, pour imparfaite et discutable qu’elle soit, continue de rassembler autour d’elle de nombreux acteurs de santé, santé publique en particulier. Pour l’OMS, la santé n’est pas seulement une absence de maladie, mais un état de complet bien-être sur les plans physique, mental et social. La santé ne saurait, sur cette base, être un état, mais plutôt un idéal vers lequel on tend. Un idéal vers lequel on doit tendre, la société enjoignant l’individu de gérer sa santé sur le long terme. La santé est ainsi devenue un processus culturel visant à l’amélioration de la qualité de la vie. Particulièrement depuis que la médecine a acquis des outils efficaces pour lutter contre la maladie et la mort.

La philosophe Cynthia Fleury l’exprimait ainsi : La maladie n’a pas basculé du côté de la mort mais du côté de la vie : être malade signifie désormais plus souvent vivre avec un mal, qu’y succomber directement, voire vivre mal avec un mal qui vit.

 

La révolution génétique

 

Dans ce contexte, une nouvelle révolution médicale est née de l’invasion de la génétique dans la pratique médicale. La génétique est une science récente. Le moine tchèque Gregor Mendel et ses petits pois, c’était hier… Enfin, il y a un siècle et demi ! Utiliser la génétique pour tenter d’améliorer la santé, d’optimiser la thérapeutique, prévenir la maladie, voire pour prédire des risques pour la santé est beaucoup plus récent. L’entreprise est en cours.

Depuis quelques années, nous sommes devenus capables de lire et, dans une certaine mesure, d’analyser notre génome, notre ADN de manière extensive, voire en totalité, et surtout de manière de plus en plus systématique, rapide, et… Moins chère.

ADN, le mot est lancé ! Il s’agit d’une molécule porteuse d’information génétique, en fait quarante-six molécules chez l’humain. Une dans chacun de nos chromosomes, qui constituent le support matériel d’une « information génétique ». Mises bout à bout, ces quarante-six molécules représenteraient deux mètres d’ADN. Si l’on étirait tout l’ADN présent dans toutes nos cellules, on arriverait à une longueur de deux cents milliards de kilomètres, soit environ mille trois cents fois la distance entre la terre et le soleil ! Si l’ADN est une molécule très longue, elle est aussi très fine, deux nanomètres, ce qui veut dire qu’on pourrait mettre cinq-cents mille molécules d’ADN côte à côte dans un millimètre. Ces valeurs donnent le vertige, et il est quasiment impossible de se les représenter. Ce n’est pas non plus très important de le faire. C’est le message que véhicule cet ADN qui nous importe. Il est « codé » par un enchaînement de quatre éléments chimiques (cytosine, adénine, thymine et guanine), que l’on résume sous forme de lettres CATG. La séquence de ces lettres constitue ces fameux gènes, au nombre d’environ vingt-trois mille dans chacune de nos cellules.

La première lecture de la séquence d’un ADN humain a été publiée en 2003. Il avait fallu 13 ans et 3 milliards de dollars pour cela. Aujourd’hui, on peut faire la même chose, et même mieux en quelques heures et quelques centaines d’euros. Même s’il s’agit encore aujourd'hui plus de "lire" son génome que de le "connaître" en profondeur, nous progressons chaque jour dans la compréhension du sens du message que porte notre génome, et la séquence de ce fameux ADN.

Les progrès formidables de nos capacités techniques pour séquencer l’ADN, et la connaissance croissante des mécanismes moléculaires de l’hérédité contribue à une évolution apparemment irrésistible de la médecine vers plus de science, plus de technique et plus de précision. Lors de son discours sur l'état de l'Union en 2015, le président Barack Obama avait fait une brève annonce sur ce qu'il appellait « la médecine de précision » : « Ce soir, je lance une nouvelle initiative en faveur d’une médecine de précision pour nous amener au plus près de la guérison de maladies telles que le cancer ou le diabète, et pour nous donner à tous un accès aux informations personnalisées dont nous avons besoin pour nous garder, nous et nos familles, en meilleure santé ».

Paradoxalement, cette médecine précision que certains nomment, de manière erronée, médecine personnalisée pourrait éloigner la médecine de sa vocation première qui est d’être au service de la personne. Je parle de la personne humaine entière, au-delà de sa biologie, de sa physiologie et de sa génétique. Georges Canguilhem, philosophe et médecin, l’exprimait en disant que la prise en charge d’un malade ne relève pas de la même responsabilité que la lutte rationnelle contre les maladies. Ce que Paul Tournier, médecin à Genève dans les années 1940, précisait en parlant d’une médecine de la personne, qui met l’accent sur la prise de conscience de la personne dans son intégralité physique, psychique, spirituelle et sa dimension communautaire et sociale.

La génétique possède également une influence croissante dans des domaines connexes comme celui des assurances ou de l’économie de santé. Certains ne disent-ils pas souhaiter qu’on puisse un jour, grâce à la génétique, prévoir les maladies que nous ne manquerons pas de développer, en un mot notre futur médical. Rappelons-nous le docteur Knock. Il s’agirait de pouvoir ajuster les primes d’assurance santé. Pour notre bien, évidemment.

Ne devrions-nous pas étudier la nature des forces scientifiques, politiques et surtout économiques qui opèrent sans relâche dans le sens d'une gestion des soins de santé de plus en plus technique ?

Les tests génétiques, dont nous avons tous entendu parler, ne sont que la partie émergée de l'iceberg, la plus visible en raison de la vitesse prodigieuse de leur développement et de leur médiatisation. Notre aptitude nouvelle à séquencer des génomes humains crée une volonté, un désir, voire même une nécessité de l’utiliser dans des domaines tels que l’identification des personnes (notamment en médecine légale et criminologie) ou la généalogie (la recherche d’apparentés génétiques, par exemple). Elle a même modifié le droit qui a un peu brisé le lien social de la filiation pour y introduire une dimension génétique qui devient prépondérante. On dit que le cadeau à la mode cette année à Noël était d’offrir des kits d’analyse de l’ADN, malgré l’interdit dont ils font l’objet de la part de la loi Française.

Le fait que nous soyons très enclins à séquencer l’ADN à tout va, avec ou sans motivation médicale, a tendance à nous faire perdre de vue la quantité et la nature même des informations que la génétique nous apporte véritablement dans l’état actuel de nos connaissances. Génétique et séquence d’ADN sont-elles des outils de libération ou d’aliénation de la personne humaine ?

Etablir un lien direct entre le génome et la personne pourrait laisser penser que nous serions totalement déterminés par notre ADN et sa séquence. S’il existe bien un déterminisme génétique, en faire un absolu témoigne d’une vision réductionniste, et donc simpliste des rapports entre notre hérédité et nous.

Tout cela interroge bien sûr les normes de santé, et la définition même de la santé. Où se situe le début d’une maladie d’origine génétique ? Est-ce lorsqu’un variant génétique est découvert dans la séquence d’ADN d’une personne, ou lorsque les premiers symptômes apparaissent ? Toujours le docteur Knock ?

Les spécialistes de la génétique médicale savent déjà reconnaître dans notre ADN les stigmates de certaines maladies ou handicaps d’origine génétique, par exemple certains cancers du sein, la mucoviscidose et bien d’autres, plus graves les unes que les autres. Ils agissent dans la lignée, la continuité d’Hippocrate qui utilisait les quatre « humeurs » – le sang, le flegme, la bile jaune et la bile noire – pour diagnostiquer ses patients et pouvoir leur donner un traitement adapté à leur cas. Dans la continuité de la médecine traditionnelle, familiale, qui se fonde sur les antécédents familiaux et le mode de vie de chacun. En fait, on pourrait considérer la médecine génétique, la médecine génomique fondée sur la séquence de l’ADN, comme un ensemble d’outils nouveaux pour perfectionner ce qui existait déjà. Et les outils progressent, c’est indéniable…

Ces avancées de la génétique médicale conduisent à proposer dès à présent, j’allais dire à vendre sur plans, des applications déjà bien réelles pour certaines, mais qui font à la fois rêver et frémir :

  • Pouvoir dresser un profil génomique d’une tumeur pour ajuster les traitements ou prédire le risque de récidive ;
  • Etre capable de mesurer une prédisposition génétique à certaines maladies, cancéreuses, en particulier ;
  • Proposer des tests pharmacogénétiques pour déterminer quel traitement sera le plus efficace pour moi ;
  • Mais aussi utiliser l’ADN du fœtus, présent dans le sang de sa mère pour dépister certains handicaps d’origine génétique, qu’on n’abordait jusqu’à présent que par l’étude assez grossière des chromosomes.

La médecine génomique porte de grandes promesses pour l’avenir, des espoirs pour l’amélioration de notre santé. La question fondamentale que nous pose cette médecine, avec son lot d’innovations techniques et sa volonté / capacité d’ingénierie du vivant est de savoir si elle représente un progrès pour l’humain et l’humanité.

 

Génétique, médecine et société

 

La place prise par la santé dans notre société crée en retour un flou croissant entre les interventions de la médecine au profit du malade tel qu’il est classiquement défini, et celles qui répondent à des demandes plus sociétales que médicales. On pense, par exemple, à la chirurgie méliorative ou à l’assistance médicale à la procréation dont les finalités ne sont plus clairement médicales. Il ne s’agit pas de porter un jugement sur ce glissement, certains parleraient de dérives ; il s’agit de le constater et de forcer un débat éthique le plus serein possible.

On pense également à l’implication de la génétique, médicale mais pas que… dans la soi disant augmentation de l’humain, qui doit être questionnée à l’aune d'une société où les valeurs principales sont la concurrence et une hiérarchie fondée sur des considérations matérielles, l'argent en particulier. A partir de là, il devient indispensable de questionner les normes sur lesquelles certains se vantent de pouvoir « améliorer » l'espèce humaine, quelle est leur origine, qui les établit, et de s’interroger sur la légitimité de placer la performance maximale de l’individu au rang de valeur suprême, de norme de fonctionnement sociétal. Le généticien Albert Jacquard affirmait que le moteur de notre société occidentale est la compétition, et c’est un moteur suicidaire.

Apprendre à connaître la séquence de notre ADN, c’est aussi nous donner l’envie de contrôler son fonctionnement, de corriger les erreurs de la nature. Le CCNE nous disait, dans son avis N° 124 que la complexité biologique ne peut, pas plus que d’un déterminisme génétique, s’accommoder de l’idée qu’un génome standard serait définissable. Imaginer qu’il existerait un « génome normal », figé en quelque sorte lors de l’évolution de l’humain par rapport aux primates non humains, et qu’il conviendrait de préserver, est une illusion. Parler de gènes normaux et de gènes mutés est une aberration, puisque tous nos gènes, produits de cette évolution, sont, par définition, des gènes mutés. Il existe des mutations rares ou fréquentes, on parle plutôt de variants dont certains provoquent des maladies et d’autres pas. Ajoutant que la notion de « génome normal », dans l’acception « d’idéal génomique » n’a pas de sens, le comité posait la question : Comment se prémunir de l’illusion d’une « perfection » génétique ?

Il y a un peu plus de quarante ans, Joseph Fletcher, professeur d’éthique médicale et de bioéthique à l’université de Virginie, l’a dit : « la nature est d’abord une source d’aléa, de risques et de désordres. Elle doit être domestiquée, dominée par une mise en ordre rationnelle du monde qui en éradique les incertitudes, les imprévisibilités ». Quelle arrogance !

S’il est vrai que le hasard est très présent en biologie, lui qui permet que rien n’y fonctionne à 100 % (ni à 0 %) et que, donc, il y ait une dynamique et une plasticité du vivant, cette profession de foi scientiste donne le vertige. « Mise en ordre rationnelle » fait accroire que notre raison saurait englober l’intégralité du fonctionnement du vivant, que tout pourrait y être contrôlé, et y serait donc gérable.

Ceci est certainement plus de l’ordre du fantasme que de la réalité. C’est le langage séduisant du transhumanisme derrière lequel se cache l’incroyable vanité de ceux qui prétendent améliorer le vivant, le vivant humain en particulier dont ils ignorent pour l’essentiel de quoi il est fait et comment il fonctionne, ce qui ne procède certainement pas de la seule biologie, a fortiori de la seule génétique. Mais que ce soit dans le but de réparer ou celui d’améliorer, pour autant que cela veuille dire quelque chose, c’est bien à la génétique et ses outils les plus modernes qu’on fait appel. On entre dans le domaine de l’ingénierie du génome, certains diraient sans doute le bricolage génomique.

Pour effectuer des modifications dans l'ADN, le point de départ consiste toujours à accéder à un endroit précis du génome, unique dans les six milliards de bases, pour le couper. Il faut donc une main qui guide et une paire de ciseaux, et c'est exactement ce qu'est Crispr-Cas9, l’outil actuellement en vogue, dont nous avons sans doute toutes et tous entendu parler. Pour paraphraser Aragon, parce qu’à prononcer, son nom est difficile, y cherchait un effet de peur sur les passants. Crispr est une séquence qui sert de guide, tandis que Cas9 est une enzyme qui introduit une coupure dans le génome. La technologie continue d'avancer pour agir de façon toujours plus précise et fiable, voire pour pouvoir effectuer des modifications ciblées dans l’ADN sans même le couper.

 

Lulu et Nana, le pas de trop ?

 

Il n’a pas fallu longtemps après la première mise au point du système en 2012-2013 pour qu’on applique aux cellules humaines et à l’embryon humain cette technique qui en fascine plus d’un. Des travaux très décriés d’une équipe chinoise en 2015. Puis, de nombreux essais, à vocation cognitive pour certains. Crispr-Cas est un magnifique outil pour la recherche fondamentale. C’est indéniable.

Depuis, des essais cliniques de thérapie génique ont été lancés chez l’humain avec l’accord et même l’enthousiasme de la communauté scientifique internationale. Les sociétés CRISPR Therapeutics et Vertex Pharmaceuticals se sont associés pour lancer un essai en Allemagne visant à tenter une approche CRISPR pour le traitement de la β-thalassémie. Deux patients ne présentent plus de symptômes depuis plusieurs mois. Ces résultats sont remarquables car ils représentent la première preuve clinique que CRISPR-Cas9 a un réel potentiel curatif.

Mais, alors que Crispr-Cas9 est sur le point de devenir l'outil de choix d'ingénierie des gènes en clinique et que les défauts de jeunesse de la méthode semblent en passe de se résoudre, lui donnant toujours plus de fiabilité, certains ne résistent pas à la tentation de sauter les étapes. Marc Kirschner, biologiste et évolutionniste, le disait : « dans les sciences biomédicales, il y a une tendance croissante à assimiler la significativité de la science à n’importe quel type de pertinence médicale ». Il ajoutait : « En science, plus vite, mieux et moins cher ne sont pas aussi important que conceptuel, nouveau et minutieux ».

Un nouveau pas a donc été franchi avec la manipulation de l’embryon humain de sorte que les modifications introduites deviennent transmissibles à la descendance des bébés génétiquement modifiés. Un pas qui a fait frémir scientifiques, politiques, … Un peu tout le monde en fait. Cette expérience a conduit à la naissance de deux petites filles, Lulu et Nana, ainsi que He Jankui les appelle. Ce qu’a fait ce chercheur chinois qui vient d’être condamné par la justice chinoise à 3 ans de prison ferme et près de 400 000 euros d’amende, est expérimentalement très brouillon, scientifiquement peu pertinent, et éthiquement indéfendable.

On préfèrerait sans doute que la réflexion éthique ait été engagée sans que des êtres humains, deux petites filles, en l’occurrence, en soient les otages involontaires. Paul Ricœur en aurait dit : La seule question est de savoir si nous souhaitons employer dans ce sens nos nouvelles connaissances scientifiques et techniques, et l'on ne saurait en décider par des méthodes scientifiques. C'est une question politique primordiale que l'on ne peut guère, par conséquent, abandonner aux professionnels de la science ni à ceux de la politique.

 

En forme de conclusion…

 

J’ai commencé cet exposé en évoquant l’idée de progrès. Au moment de conclure, je voudrais revenir sur cette idée avec Nicolas de Condorcet. Pourquoi les progrès de l'esprit n'ont-ils pas toujours été suivis du progrès des sociétés vers le bonheur et la vertu ?  S’interrogeait-il. C’est certainement là qu’intervient la réflexion éthique que Paul Ricœur disait réserver à l’ordre du bien face à la morale qui est de l’ordre de l’obligation.

Nous avons vu que les questionnements sur le vivant en général, et l’être humain en particulier, sont, par essence, multiples et multiformes, souvent très spécialisés (scientifiques et techniques), mais ils nous concernent toutes et tous. La société ne saurait donc en faire l’économie

On attend d’une réflexion éthique qu’elle soit vigilance et volonté de ne pas être un obstacle aux progrès scientifiques ; qu’au-delà de soi-disant principes, elle s’interroge sur les valeurs, les valeurs que nous pouvons partager ; qu’elle soit utile et humaniste, de sorte que les progrès technologiques ne soient pas mis en œuvre dans n’importe quelles conditions, et à n’importe quel prix.

Nous pouvons nous réjouir de l'émergence de règles sur la responsabilité médicale et la responsabilisation des citoyens, sur la gouvernance, sur la gestion des risques et la prise de décision publique dans des situations d'incertitude scientifique, ledit principe de précaution. Ces règles sont essentielles à l'appropriation d'une connaissance de plus en plus complexe. Mais elles ne peuvent pas se substituer à un réel questionnement éthique, dans lequel on peut mettre en avant deux questions clés : (i) la place que nous donnons au progrès technologique dans le progrès de la société et de l'humanité, et (ii) la valeur que nous attribuons à la connaissance, la connaissance scientifique en particulier, dans ce progrès.

L'adhésion à la notion de progrès implique que la réflexion ne subisse aucune contrainte, qu’elle soit fondée sur une vraie information d’amont, sur un dialogue entre scientifiques, experts et politiciens, sur un questionnement citoyen de la notion même de progrès et de sa régulation, en particulier lors de l'émergence d'une nouvelle technologie. Et donc sur un débat public. L'éthique, la bioéthique devrait être débat, confrontation d’opinions et de convictions…

L’éthique doit se départir de ses tentations moralisatrices pour devenir ce qu’elle est censée être : une force de réflexion prospective, une ouverture au questionnement.

Tant qu’elle demeurera un caillou dans la chaussure de la société, l’éthique remplira pleinement son rôle éminent de lanceur d’alerte.

L’invasion de la médecine par la génétique est sans doute un bien… Mais lequel ?
Partager cet article
Repost0
24 juin 2019 1 24 /06 /juin /2019 12:47

Arrivé à la fin d’une aventure nouvelle pour moi, l’écriture d’un vrai livre, je dépasse ma timidité naturelle pour faire un peu d’auto-promotion ! Mon petit essai sur la «médecine génomique » paraîtra le 9 juilllet prochain.

Cet essai est né de cours et de conférences qui m’ont été demandées ces dernières années, à la fois en raison de ma formation de généticien et de "génomiste" et de la chance que j’ai eue de participer pendant neuf ans à la réflexion et aux travaux du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE).


Quand la Santé fait parler l’ADN…

Une révolution médicale est née du saut technologique dans les nouvelles méthodes qui permettent d’analyser notre génome, notre ADN de manière extensive, et surtout de plus en plus systématique, rapide, et...  moins chère. C’est la médecine génomique, une médecine plus précise et prédictive qui suscite de nombreux espoirs. Sera-t-elle pour autant une médecine de la personne ?

Alors demain, tous séquencés ? Est-ce la volonté de la France pour 2025, elle qui a débuté le développement de plateformes de séquençage à haut débit du génome humain.

Déterminer notre profil génétique nous promet une meilleure prise en charge des maladies d’origine génétique, à la fois dans leur dépistage, leur prévention et leur traitement. C’est un progrès technique et surtout une évolution importante des connaissances en génétique humaine.

Mais la médecine génomique pose de nombreuses questions pratiques et éthiques. Elle repose sur l’analyse poussée des données d’un grand nombre de personnes. Et à l’ère du Big data, comment traiter ces énormes données et surtout les sécuriser pour que nous en gardions le contrôle ?

Ce n'est pas parce que l'on est capable de séquencer l'ADN que l’on peut lire dans les gènes d’une personne son avenir médical ! nous dit Patrick Gaudray.  La seule lecture de la séquence d’un ADN ne suffit pas à comprendre le génome humain. Savoir comment il fonctionne nécessite de prendre en compte son environnement, notre environnement, l’épigénétique, en particulier.

« Séquencer l'ADN, ça veut dire être capable de lire les lettres d'un livre. Mais nous ne connaissons ni la grammaire ni l'orthographe de cette langue, c’est quelque chose qui demande du temps, le temps de la science »

Partager cet article
Repost0
17 avril 2019 3 17 /04 /avril /2019 19:34
La grange aux moines, la vieille dame de Berthenay, ou pas d’EHPAD ni beaucoup ni d’espoir pour les vieilles de 720 ans

Ce n’est pas ND de Paris, bien sûr, mais elle est là quand même depuis le XIIIe siècle. Elle fut construite en 1299 sous le règne du Roi Philippe le Bel. 1299, une période difficile pour le Royaume, les finances étant au plus bas (rien ne change, donc !). Même le clergé est touché par « la crise », et pour y faire face, le Prieuré de Foncher, prieuré régulier dépendant de l’abbaye Marmoutier de Tours, fait construire une grange de stockage des récoltes sur la « prairie des Moines » à proximité de ce qui reste de la forêt de Berthenay (la silva splendida des textes anciens).

La grange monastique, dont la superficie est supérieure à 400 m2 pour une douzaine de mètres de hauteur fut édifiée sur une motte d’environ 1,80 m de hauteur pour échapper aux caprices de la Loire et du Cher qui l’entourent. Sa charpente, dite à fermes et pannes, fut réalisée avec des chênes coupés sur place l’hiver précédent, en 1298, donc. La majorité des bois sont dits de brins, c’est-à-dire conservant le cœur de l’arbre, et équarris à la doloire. La taille de l’édifice a nécessité l’assemblage de 7 fermes, et 160 grumes de bois (c’est bien évidemment beaucoup plus modeste que les 1300 de ND de Paris) ont été nécessaires pour supporter 660 m2 de toiture, soit environ 27 500 tuiles pesant environ 38,5 tonnes.

La grange aux moines, la vieille dame de Berthenay, ou pas d’EHPAD ni beaucoup ni d’espoir pour les vieilles de 720 ans

Peu remaniée, mais relativement bien entretenue jusqu’à une époque récente, la charpente a traversé les siècles en demeurant « dans son jus », et reste une des rares charpentes authentiques de grange du XIIIe siècle encore totalement en place en région Centre. Pourtant, aujourd’hui, son état de conservation tant sanitaire que structurel n’est pas satisfaisant, et sans intervention volontariste, l’avenir est sombre pour la vieille dame de Berthenay, malgré la mobilisation de la municipalité de notre petit village, plus petite commune de Tours Métropole Val de Loire.

 Il ne s’agit certainement pas de jalouser l’élan de générosité qui permettra sans doute de sauver la cathédrale ND de Paris, mais lorsqu’on voit l’enthousiasme que suscite le patrimoine dans de tels moments dramatiques, on ne peut pas ne pas penser qu’un « petit » effort permettrait  de sauver un patrimoine moins prestigieux, certes, mais qui témoigne de la vie des gens et nous rappelle que nous ne venons pas de nulle part.

Partager cet article
Repost0
5 mars 2019 2 05 /03 /mars /2019 10:21

La bioéthique, ce n’est pas que la soi-disant PMA[1]. Ce n’est pas pourtant une raison de reporter une fois encore l’examen de la loi. Quelques remarques :

1°) En 1994, lors du vote de la première loi, un ré-examen avait été prévu sous cinq ans. Donc la révision suivante a eu lieu en 2004 !

2°) En 2004, rebelote avec un vote de ré-examen en juillet 2011… C’est mieux, mais on n’y est pas encore !

3°) En 2011, pour plus de réalisme, on propose un ré-examen sous sept ans… Facile, non ? Et bien non, on nous dit que ce sera sans doute 2020 !

Comment se fait-il qu’on ne puisse tenir ses engagements ? Comment se fait-il qu’on n’ajuste pas son calendrier à ce qu’on est capable de faire ?

Le ministre des Relations avec le Parlement Marc Fesneau a déclaré que « le Premier ministre et le président de la République ont fait le choix de donner le temps au débat », comme si le débat n’avait pas lieu depuis des mois. Ah oui, il parle du débat parlementaire… Evidemment si seulement 19 parlementaires sur 925 ont participé au premier séminaire de formation sur le sujet (en l’occurrence sur le thème de la génétique, dont l’importance ne doit pas être grande aux yeux de ceux qui sont payés pour préparer l’avenir), on comprend que cela puisse prendre du temps.

Le problème semble pourtant bien être ailleurs : la députée LREM Laurence Vanceunebrock-Mialon a déclaré lundi 4 mars sur France info qu’elle avait « l'impression que le gouvernement semble manquer de courage politique »… J’ajouterai de courage tout court. La philosophe Cynthia Fleury a parlé de la fin du courage, mais pour qu’il y ait fin, il eût fallu qu’il y ait eu un début. Je l’attends toujours.

Didier Sicard, ancien président du CCNE, disait que « Droit, éthique, politique revendiquent chacun, dans la mission qui leur est confiée, la responsabilité de dire le juste et le bien commun ». Et il ajoutait que c’est du dialogue entre les trois que peut naître une vraie richesse. Où est ce dialogue aujourd’hui ? Au vu de ce qui se passe en ce moment, on peut interroger le fait que le droit et le politique soient dans une dynamique de justice et de bien commun. Reste donc l’éthique, cette empêcheuse de tourner en rond.

S’il n’y a pas urgence politique à valoriser rapidement l’ensemble des débats publics qui ont eu lieu ces derniers mois dans le pays sur les différents thèmes couverts par la loi de bioéthique, il semble que l’urgence soit plus de revenir sur la loi de décembre 1905 sur la séparation des églises et de l’état. Curieux si l’on considère que l’idée laïque représentait pour Paul Ricœur le fondement de la vie en commun et du fonctionnement de la République. Le même Paul Ricœur disait que l’« on entre en éthique, quand, à l'affirmation par soi de sa liberté, on ajoute l'affirmation de la volonté que la liberté de l'autre soit ». Laïcité, liberté et éthique, un triptyque qui semble bien mis à mal dans la France d’aujourd’hui…

 

[1] Cette dénomination est absurde et fausse. En fait il s’agit d’assistance médicale à la procréation (AMP). Le présenter différemment laisserait supposer que la procréation a eu lieu alors que, comme les antibiotiques, ça n’est pas automatique. De plus, ce n’est pas la procréation qui est en cause, mais bien l’assistance médicale. Alors, dénommons les choses correctement, cela facilitera peut-être le débat (voir, par exemple, les propositions de l’UFAL sur ces questions).

Partager cet article
Repost0
27 novembre 2018 2 27 /11 /novembre /2018 16:54
Lulu et Nana sont dans un bateau,… Et ça tangue !!!

Un chercheur chinois formé à Stanford, He Jiankui, a annoncé par des vidéos postées sur Youtube le 25 novembre, avoir utilisé avec succès  le système d’ingénierie génétique dit CRISPR-Cas9 pour modifier le génome d’embryons humains qui ont conduit à la naissance de deux petites filles, Lulu et Nana, ainsi qu’il les appelle. Cette réalisation controversée avait pour but de protéger les fillettes contre le développement futur du VIH dont leur père et géniteur est porteur, en désactivant le gène CCR5 dont le produit est impliqué dans l’infection de cellules humaines par le VIH.

L’université de rattachement de He Jiankui, l’université des sciences et technologies de Chine méridionale (SUSTech) à Shenzhen, a manifesté sont étonnement devant cette annonce et a même lancé une enquête à la suite de cette annonce dont elle questionne la véracité. Selon l'agence Reuters, SUSTech rappelle qu'elle "exige explicitement que la recherche scientifique soit conforme aux lois et réglementations nationales, ainsi qu'à l'éthique et aux normes universitaires internationales". Même si la République Populaire de Chine n’a pas légiféré spécifiquement sur l’ingénierie génétique, l’utilisation de CRISPR-Cas9 pour modifier le patrimoine génétique héréditaire humain enfreint les directives publiées par le ministère chinois de la Santé en 2003 et va, en tout état de cause, à l'encontre des directives adoptées lors de rencontres internationales auxquelles la Chine participait dès 2015.

Mais He Jiankui s’est mis en congé de son université non payé depuis février 2018, afin dit-il de se concentrer sur ses recherches.

 

Alors, de deux choses l’une : soit il s’agit d’une fausse annonce (hoax, fake news ;…) totalement irresponsable qui constitue une inconduite scientifique majeure, soit il s’agit d’une réalité, et c’est plus grave encore comme violation de normes éthiques mondiales, comme le rappelle Feng Zhang, chercheur au Broad Institute à Harvard, qui, lui, appelle à un moratoire mondial sur l’utilisation de cette technique pour créer des humains génétiquement modifiés.

 

Le Nuffield Council on Bioethics, alter ego de notre CCNE, a publié en juillet dernier un intéressant rapport intitulé Genome editing and human reproduction: social and ethical issues dans lequel un vrai questionnement de fond est posé sur cet ensemble de nouvelles techniques, allant jusqu’à s’interroger sur l’existence par principe de raisons éthiques d’interdire les modifications génétiques d’embryons humains.

 

On préfèrerait sans doute que la question soit posée sans que des êtres humains, des petites filles, en l’occurrence, en soient les otages involontaires.

Partager cet article
Repost0
30 octobre 2018 2 30 /10 /octobre /2018 11:12

Il se passe toujours quelque chose à l'école, et pas toujours ce qu'on pourrait souhaiter. On voit et on entend des tas de choses qui se passent à l'école, des faits, des interprétations, des fausses nouvelles aussi, probablement. On entend un ministre supposément de la prétendue éducation nationale se manifester en faveur de la présence de policiers en milieu scolaire comme seule réponse au malaise de plus en plus perceptible (ou plutôt au malaise qu'on ne va pas tarder à accepter de percevoir) des enseignants et autres intervenants légitimes dans ce "milieu scolaire". Alors, on se rend sur le hashtag #Pasdevagues, et on déprime. On déprime devant tant de violence, la violence sourde et pesante d'une administration qui apporte si peu de soutien à ces hussards noirs de la République qui ont parfois l'impression de participer à une vraie Bérézina : certains y voient une sorte de victoire militaire, mais il en reste surtout l'image d'un désastre humain.
Je n'ai bien sûr aucune compétence pour parler de ce sujet, mais pas forcément moins que beaucoup de ceux qui s'expriment. Mais, dans ma série "coups de gueule", j'ai choisi de l'ouvrir près avoir vu deux posts sur Internet. Le premier est cette affiche trouvée sur Twitter sous le fameux hashtag #Pasdevagues :

Instruction Publique

... Et je me suis rappelé de mon regret de toujours que le ministère de l'Instruction Publique soit devenu celui de l'éducation nationale. Un vieux con passéiste, me direz-vous ! Oui, j'assume. Je crois en la vertu de l'instruction, et publique qui plus est. Les clefs de la rigueur, le chemin contre la barbarie.

Le second est ce texte remarquable et récent de Catherine Kintzler qui dit, bien mieux que je pourrais jamais le faire, ce que je crois : http://www.mezetulle.fr/lecole-disciplinaire/

Instruction Publique

... Alors, pas grand chose à ajouter... Se taire et réfléchir...

Partager cet article
Repost0
7 décembre 2017 4 07 /12 /décembre /2017 17:21
Jane Austen et les neurosciences

Il y a deux-cents ans disparaissait une "jeune" auteure dont le succès littéraire ne s'est jamais démenti. Tout le monde connaît Raisons et sentiments, Orgueil et Préjugés, Mansfield Park, Emma ou Persuasion. Certains et certaines ont peut-être parfois un peu honte d'apprécier ces romans sentimentaux et hésiteront avant d'avouer qu'elles et ils ont dévoré ces ouvrages. Je trouve intéressant qu'ils deviennent un sujet d'étude dans le domaine des neurosciences !

Wendy Jones, psychothérapeute et ancienne professeure d'anglais connue pour son travail sur le lien entre la littérature et les sciences du cerveau et de l'esprit, révèle la capacité intuitive de Jane Austen à imprégner ses personnages de traits caractéristiques de l'intelligence sociale. Dans son dernier livre « Jane on the Brain - Exploring the Science of Social Intelligence with Jane Austen », Wendy Jones explore les multiples facettes de l'intelligence sociale, et comment des œuvres de littérature populaire peuvent éclairer davantage la connexion esprit-cerveau.

Voici un extrait de ce qu'elle en dit dans la revue The Scientist d'aujourd'hui :

« Dans Raison et Sentiments de Jane Austen, Elinor Dashwood parle à une nouvelle connaissance, Lucy Steele. Sur la base de leurs précédentes rencontres, Elinor ne pense pas grand chose du personnage de Lucy. Mais Lucy semble déterminée à se lier d'amitié avec Elinor et à en faire une confidente. Elinor découvre les vrais motifs de Lucy lorsque celle-ci lui révèle qu'elle est secrètement fiancée à Edward Ferrars, l'homme qu'aime Elinor. Celle-ci reste sans voix: « Son étonnement devant ce qu'elle a entendu était d'abord trop grand pour les mots ».

Elinor n'est pas la seule à faire l'expérience de ce genre de blocage et de la frustration qui l'accompagne. Quand nous sommes en colère, contrariés, ou effrayés - sous l'emprise de toute émotion forte - la plupart d'entre nous ont du mal à penser clairement. Cela a à voir avec la relation inverse entre nos systèmes nerveux sympathiques et parasympathiques, qui gèrent (respectivement) le degré auquel nous sommes excités ou calmes.

Le neuroscientifique Stephen Porges a suggéré que le thermostat pour l'ajustement de la contribution sympathique et parasympathique peut être trouvé dans ces systèmes eux-mêmes. Il a mis en évidence les opérations impliquées dans une «perspective polyvagale», qui considère notre fonctionnement neurophysiologique dans le contexte de la sécurité, que nos environnements soient menaçants ou bénins.

J'explore ces phénomènes neurosociaux et d'autres à travers l'objectif des romans immensément populaires de Jane Austen dans mon nouveau livre, Jane on the Brain: Explorer la science de l'intelligence sociale.

[…]

C'est seulement quand Elinor réussit à se calmer qu'elle redevient capable d’entretenir une conversation courtoise avec Lucy, « de se forcer à parler et de parler prudemment ». Possédant un système vague remarquablement adaptable, Elinor récupère rapidement son sang-froid, et finalement prive Lucy de son triomphe ».

 

Peut-être pourrons-nous relire à présent Jane Austen sans ce petit sentiment de honte, et avec la fierté de mieux comprendre cette intelligence sociale qui contribue à faire de nous des humains.

Partager cet article
Repost0
4 septembre 2017 1 04 /09 /septembre /2017 15:37

Il y a quelques jours, France 2 m'a contacté pour avoir mon avis sur les recherches généalogiques par tests ADN, ce que certains, dont je fais partie, appellent la génétique récréative. On vend du rêve (ou du cauchemard) en donnant un vernis technoscientifique à des recherches un peu vaines de prétendues origines fondées uniquement sur la biologie et la génétique. L'équipe de tournage est venue à la maison, et les questions posées étaient intéressantes et ouvraient la porte à la réflexion. Presque trois-quarts d'heure d'interview pour... Quelques secondes à l'écran (30, pour être précis) !

Le reportage, intitulé "D'où est-ce que je proviens", diffusé dans le journal de 20h de France 2 samedi 2 septembre, en plus d'apparaitre un peu comme de la pub pour Igenea, fait passer le message que c'est super de retrouver ses frangines, et que la génétique récréative c'est cool. Bien sûr, il y a le vieux grincheux du CNRS qui met en doute l'intérêt de la chose, mais sans vraiment argumenter, puisqu'on ne lui en a pas laissé le temps.

Rien sur la signification réelle des résultats, rien sur le fait qu'on puisse découvrir beaucoup plus que des demi-sœurs, rien sur le fait que l'important puisse être l'histoire des personnes et des familles et que la génétique n'est qu'une petite part de cette histoire, rien sur le fait que ces petits jeux (lucratifs, par ailleurs) alimentent la généticisation (biologisation) des relations humaines et l'on voit ce que cela donne dans les jugements d'affaires familiales, rien sur le fait que ces officines de tests ADN en ligne alimentent d'immenses bases de données probablement utiles à la recherche scientifique, mais alimentent surtout un business et font que petit à petit notre intimité nous échappe.

D'autre part, le vieux grincheux du CNRS n'était pas que négatif ; il valorisait ce que ces tests pouvaient, bien utilisés, apporter à la connaissance de l'histoire de l'humanité (et pas de ses individus), avec les grands mouvements de population depuis la sortie d'Afrique de H. sapiens. Ce que ces tests pouvaient apporter pour mettre en pièces tous les racismes (cf les tests ADN de suprémacistes blancs aux USA qui montrent qu'ils ne sont pas si blancs que cela !!!).

On pourrait épiloguer encore, mais le fait est que les médias entretiennent, s'ils ne le créent pas, un air du temps qui ne sent pas toujours la rose !!!

 

Vous l'avez compris, je suis un peu en colère...

Partager cet article
Repost0