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29 janvier 2020 3 29 /01 /janvier /2020 13:48
L’invasion de la médecine par la génétique est sans doute un bien… Mais lequel ?

Merci à  l’espace de réflexion éthique du Grand-est, et tout particulièrement à sa coordinatrice, Hélène Gebel, qui m'a permis de  parler de sujets qui me tiennent vraiment à cœur, et qui, je l'espère, pourront intéresser au-delà de frontières de l'EREGE.

 

On n’arrête pas le progrès

 

Je commencerai  en citant Steven Pinker, professeur de psychologie à Harvard et polémiste partout ailleurs, qui a écrit : La recherche biomédicale sera toujours plus proche de Sisyphe que d’un train fou, et la dernière chose dont nous avons besoin est d’un lobby de soi-disant éthiciens qui aideraient à pousser le rocher vers le bas. Le but de la BIOETHIQUE est de permettre le progrès aussi longtemps que possible. Si elle ne peut réaliser cela, elle devrait rester en dehors du chemin.

Ce que Pinker oublie de nous dire, c’est ce qu’il considère comme un progrès.

Il est sans doute vrai que si l’on se limite à des considérations technoscientifiques, Pinker a raison d’affirmer que le monde n’a jamais été meilleur. Le physicien-philosophe Etienne Klein, qui se demandait grâce à quel nouveau symbole nous pourrions faire progresser l’idée de progrès, pense que le mot progrès pourrait n’avoir été inventé que pour nous consoler de la fuite du temps : Le temps passe, certes, mais il passe de mieux en mieux...

 

 

La science et la technologie au service de la santé

 

Un philosophe allemand, Peter Sloterdijk, un peu provocateur lui aussi, nous avertissait il y a quelques années : « plus qu'aucune autre civilisation auparavant, la nôtre s'est mise à déplacer les bornes frontières. La naissance devient planifiable, on peut ajourner la mort dans certaines limites, le corps devient opérable dans une dimension jusqu'ici inimaginable, la sexualité et la reproduction sont dissociées, les sentiments sont tempérés par la pharmacologie ». Il est vrai qu’à bien des égards, la médecine a toujours été fondamentalement une contestation technique, biotechnologique de l’ordre naturel. Elle nous conduit ainsi à accepter de plus en plus de mal les limites intrinsèques de nos capacités biologiques. Certains y voient un progrès… J’y vois un vaste questionnement.

Plus encore que la science qui fait évoluer le monde plutôt sur le long terme, les techniques, la technologie, bouleverse nos vies et nos rapports sociaux de façon considérable, rapide, donc dans le court et le moyen terme… Et avec parfois une intensité qu’il est difficile d’anticiper, voire de comprendre. Au cours des dernières années, on a vu ainsi l’informatique personnelle, Internet, la téléphonie mobile, les smartphones en particulier, se glisser pour envahir notre quotidien pour le modifier sans qu’il soit toujours possible de déterminer si c’est pour un mal ou un bien. Mais surtout sans qu’il y ait jamais eu de débat ou de réflexion de l’ensemble de la société à leur sujet.

C’est ainsi que les progrès technoscientifiques peuvent être, et sont bien souvent perçus comme de potentiels problèmes avant d'être compris comme des progrès pour l’humain. Norbert Wiener, l’inventeur de la cybernétique, l’exprimait en disant que nous sommes esclaves de nos progrès techniques. Avec lui, nous pouvons nous demander si nous ne sacrifions pas sur l’autel de notre « savoir-faire » (know-how) la recherche du sens de ce que nous faisons (know-what).

Rappelons-nous ce que disait l’astronome américain Carl Sagan : Nous vivons dans une société extraordinairement dépendante de la science et de la technologie, dans laquelle quasiment personne ne sait quoi que ce soit ni de la science ni de la technologie.

Il reste que la science a transformé radicalement la médecine en lui faisant dépasser son statut d’art médical pour devenir une « médecine fondée sur des données scientifiques probantes » (evidence-based medicine). Cette transformation a été accompagnée de progrès techniques, aussi bien médicaux que chirurgicaux, auxquels nous devons une vie plus longue et certainement meilleure. Qui pourrait nier en effet que la longévité moyenne a été multipliée par plus de trois en France depuis le XVIIIe siècle. Ce n’est sans doute pas une raison pour affirmer, ainsi que le font certains et comme on l’entend même dans une publicité actuelle, que l’humain qui vivra deux ou trois cents ans est déjà né. Quel sens cela a-t-il ?

La question de l’accroissement de la longévité est, pour moi, celle d’une amélioration de la qualité de vie, prise globalement et dans la durée. Disant cela, je ne fais suivre ce que disait Oscar Wilde : Il ne faut pas chercher à rajouter des années à sa vie, mais plutôt essayer de rajouter de la vie à ses années.

Le développement d’une vraie compétence médicale liée à l'intégration des innovations technoscientifiques qui permet de prendre en charge des phénomènes et des interactions de plus en plus complexes, sur les plans scientifique et médical mais aussi social, a conduit à une médicalisation de la société. La dimension politico-économique de la biomédecine, l'accent mis sur la santé (au niveau du risque et de la surveillance), la nature de plus en plus technique de la biomédecine, et les transformations dans la gestion et l’utilisation de l'information médicale interrogent plus encore qu’ils n’affirment l’origine, la nature et les conséquences des progrès auxquels elles sont associées.

La santé est un droit reconnu internationalement. La déclaration universelle des droits de l’homme adoptée le 10 décembre 1948 par l’Assemblée générale des Nations Unies, formule ainsi dans son article 25 : « Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l'alimentation, l'habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires ».

Dans l’esprit de chacun, la santé est non seulement un droit, mais un bien que l’on cherche à protéger, à préserver. Elle est, d’une certaine manière, devenue un devoir. On ne manque pas d’occasions de nous rappeler notre responsabilité vis-à-vis de la santé, de notre santé… Même les assurances s’en mêlent. Et pourtant, paradoxalement, dans un pays comme le nôtre, l’un des plus mauvais des pays occidentaux pour sa couverture vaccinale, moins de 2,5 % des dépenses de santé concernent la prévention…

La santé est un objet social difficile à définir. Jules Romains plaçait dans la bouche du Dr Knock les mots suivants : « Tomber malade, vieille notion qui ne tient plus devant les données de la science actuelle. La santé n’est qu’un mot, qu’il n’y aurait aucun inconvénient à rayer de notre vocabulaire. Pour ma part, je ne connais que des gens plus ou moins atteints de maladies plus ou moins nombreuses à évolution plus ou moins rapide. Naturellement, si vous allez leur dire qu’ils se portent bien, ils ne demandent qu’à vous croire. Mais vous les trompez ».

L’Organisation mondiale de la santé a donné en 1946 une définition qui, pour imparfaite et discutable qu’elle soit, continue de rassembler autour d’elle de nombreux acteurs de santé, santé publique en particulier. Pour l’OMS, la santé n’est pas seulement une absence de maladie, mais un état de complet bien-être sur les plans physique, mental et social. La santé ne saurait, sur cette base, être un état, mais plutôt un idéal vers lequel on tend. Un idéal vers lequel on doit tendre, la société enjoignant l’individu de gérer sa santé sur le long terme. La santé est ainsi devenue un processus culturel visant à l’amélioration de la qualité de la vie. Particulièrement depuis que la médecine a acquis des outils efficaces pour lutter contre la maladie et la mort.

La philosophe Cynthia Fleury l’exprimait ainsi : La maladie n’a pas basculé du côté de la mort mais du côté de la vie : être malade signifie désormais plus souvent vivre avec un mal, qu’y succomber directement, voire vivre mal avec un mal qui vit.

 

La révolution génétique

 

Dans ce contexte, une nouvelle révolution médicale est née de l’invasion de la génétique dans la pratique médicale. La génétique est une science récente. Le moine tchèque Gregor Mendel et ses petits pois, c’était hier… Enfin, il y a un siècle et demi ! Utiliser la génétique pour tenter d’améliorer la santé, d’optimiser la thérapeutique, prévenir la maladie, voire pour prédire des risques pour la santé est beaucoup plus récent. L’entreprise est en cours.

Depuis quelques années, nous sommes devenus capables de lire et, dans une certaine mesure, d’analyser notre génome, notre ADN de manière extensive, voire en totalité, et surtout de manière de plus en plus systématique, rapide, et… Moins chère.

ADN, le mot est lancé ! Il s’agit d’une molécule porteuse d’information génétique, en fait quarante-six molécules chez l’humain. Une dans chacun de nos chromosomes, qui constituent le support matériel d’une « information génétique ». Mises bout à bout, ces quarante-six molécules représenteraient deux mètres d’ADN. Si l’on étirait tout l’ADN présent dans toutes nos cellules, on arriverait à une longueur de deux cents milliards de kilomètres, soit environ mille trois cents fois la distance entre la terre et le soleil ! Si l’ADN est une molécule très longue, elle est aussi très fine, deux nanomètres, ce qui veut dire qu’on pourrait mettre cinq-cents mille molécules d’ADN côte à côte dans un millimètre. Ces valeurs donnent le vertige, et il est quasiment impossible de se les représenter. Ce n’est pas non plus très important de le faire. C’est le message que véhicule cet ADN qui nous importe. Il est « codé » par un enchaînement de quatre éléments chimiques (cytosine, adénine, thymine et guanine), que l’on résume sous forme de lettres CATG. La séquence de ces lettres constitue ces fameux gènes, au nombre d’environ vingt-trois mille dans chacune de nos cellules.

La première lecture de la séquence d’un ADN humain a été publiée en 2003. Il avait fallu 13 ans et 3 milliards de dollars pour cela. Aujourd’hui, on peut faire la même chose, et même mieux en quelques heures et quelques centaines d’euros. Même s’il s’agit encore aujourd'hui plus de "lire" son génome que de le "connaître" en profondeur, nous progressons chaque jour dans la compréhension du sens du message que porte notre génome, et la séquence de ce fameux ADN.

Les progrès formidables de nos capacités techniques pour séquencer l’ADN, et la connaissance croissante des mécanismes moléculaires de l’hérédité contribue à une évolution apparemment irrésistible de la médecine vers plus de science, plus de technique et plus de précision. Lors de son discours sur l'état de l'Union en 2015, le président Barack Obama avait fait une brève annonce sur ce qu'il appellait « la médecine de précision » : « Ce soir, je lance une nouvelle initiative en faveur d’une médecine de précision pour nous amener au plus près de la guérison de maladies telles que le cancer ou le diabète, et pour nous donner à tous un accès aux informations personnalisées dont nous avons besoin pour nous garder, nous et nos familles, en meilleure santé ».

Paradoxalement, cette médecine précision que certains nomment, de manière erronée, médecine personnalisée pourrait éloigner la médecine de sa vocation première qui est d’être au service de la personne. Je parle de la personne humaine entière, au-delà de sa biologie, de sa physiologie et de sa génétique. Georges Canguilhem, philosophe et médecin, l’exprimait en disant que la prise en charge d’un malade ne relève pas de la même responsabilité que la lutte rationnelle contre les maladies. Ce que Paul Tournier, médecin à Genève dans les années 1940, précisait en parlant d’une médecine de la personne, qui met l’accent sur la prise de conscience de la personne dans son intégralité physique, psychique, spirituelle et sa dimension communautaire et sociale.

La génétique possède également une influence croissante dans des domaines connexes comme celui des assurances ou de l’économie de santé. Certains ne disent-ils pas souhaiter qu’on puisse un jour, grâce à la génétique, prévoir les maladies que nous ne manquerons pas de développer, en un mot notre futur médical. Rappelons-nous le docteur Knock. Il s’agirait de pouvoir ajuster les primes d’assurance santé. Pour notre bien, évidemment.

Ne devrions-nous pas étudier la nature des forces scientifiques, politiques et surtout économiques qui opèrent sans relâche dans le sens d'une gestion des soins de santé de plus en plus technique ?

Les tests génétiques, dont nous avons tous entendu parler, ne sont que la partie émergée de l'iceberg, la plus visible en raison de la vitesse prodigieuse de leur développement et de leur médiatisation. Notre aptitude nouvelle à séquencer des génomes humains crée une volonté, un désir, voire même une nécessité de l’utiliser dans des domaines tels que l’identification des personnes (notamment en médecine légale et criminologie) ou la généalogie (la recherche d’apparentés génétiques, par exemple). Elle a même modifié le droit qui a un peu brisé le lien social de la filiation pour y introduire une dimension génétique qui devient prépondérante. On dit que le cadeau à la mode cette année à Noël était d’offrir des kits d’analyse de l’ADN, malgré l’interdit dont ils font l’objet de la part de la loi Française.

Le fait que nous soyons très enclins à séquencer l’ADN à tout va, avec ou sans motivation médicale, a tendance à nous faire perdre de vue la quantité et la nature même des informations que la génétique nous apporte véritablement dans l’état actuel de nos connaissances. Génétique et séquence d’ADN sont-elles des outils de libération ou d’aliénation de la personne humaine ?

Etablir un lien direct entre le génome et la personne pourrait laisser penser que nous serions totalement déterminés par notre ADN et sa séquence. S’il existe bien un déterminisme génétique, en faire un absolu témoigne d’une vision réductionniste, et donc simpliste des rapports entre notre hérédité et nous.

Tout cela interroge bien sûr les normes de santé, et la définition même de la santé. Où se situe le début d’une maladie d’origine génétique ? Est-ce lorsqu’un variant génétique est découvert dans la séquence d’ADN d’une personne, ou lorsque les premiers symptômes apparaissent ? Toujours le docteur Knock ?

Les spécialistes de la génétique médicale savent déjà reconnaître dans notre ADN les stigmates de certaines maladies ou handicaps d’origine génétique, par exemple certains cancers du sein, la mucoviscidose et bien d’autres, plus graves les unes que les autres. Ils agissent dans la lignée, la continuité d’Hippocrate qui utilisait les quatre « humeurs » – le sang, le flegme, la bile jaune et la bile noire – pour diagnostiquer ses patients et pouvoir leur donner un traitement adapté à leur cas. Dans la continuité de la médecine traditionnelle, familiale, qui se fonde sur les antécédents familiaux et le mode de vie de chacun. En fait, on pourrait considérer la médecine génétique, la médecine génomique fondée sur la séquence de l’ADN, comme un ensemble d’outils nouveaux pour perfectionner ce qui existait déjà. Et les outils progressent, c’est indéniable…

Ces avancées de la génétique médicale conduisent à proposer dès à présent, j’allais dire à vendre sur plans, des applications déjà bien réelles pour certaines, mais qui font à la fois rêver et frémir :

  • Pouvoir dresser un profil génomique d’une tumeur pour ajuster les traitements ou prédire le risque de récidive ;
  • Etre capable de mesurer une prédisposition génétique à certaines maladies, cancéreuses, en particulier ;
  • Proposer des tests pharmacogénétiques pour déterminer quel traitement sera le plus efficace pour moi ;
  • Mais aussi utiliser l’ADN du fœtus, présent dans le sang de sa mère pour dépister certains handicaps d’origine génétique, qu’on n’abordait jusqu’à présent que par l’étude assez grossière des chromosomes.

La médecine génomique porte de grandes promesses pour l’avenir, des espoirs pour l’amélioration de notre santé. La question fondamentale que nous pose cette médecine, avec son lot d’innovations techniques et sa volonté / capacité d’ingénierie du vivant est de savoir si elle représente un progrès pour l’humain et l’humanité.

 

Génétique, médecine et société

 

La place prise par la santé dans notre société crée en retour un flou croissant entre les interventions de la médecine au profit du malade tel qu’il est classiquement défini, et celles qui répondent à des demandes plus sociétales que médicales. On pense, par exemple, à la chirurgie méliorative ou à l’assistance médicale à la procréation dont les finalités ne sont plus clairement médicales. Il ne s’agit pas de porter un jugement sur ce glissement, certains parleraient de dérives ; il s’agit de le constater et de forcer un débat éthique le plus serein possible.

On pense également à l’implication de la génétique, médicale mais pas que… dans la soi disant augmentation de l’humain, qui doit être questionnée à l’aune d'une société où les valeurs principales sont la concurrence et une hiérarchie fondée sur des considérations matérielles, l'argent en particulier. A partir de là, il devient indispensable de questionner les normes sur lesquelles certains se vantent de pouvoir « améliorer » l'espèce humaine, quelle est leur origine, qui les établit, et de s’interroger sur la légitimité de placer la performance maximale de l’individu au rang de valeur suprême, de norme de fonctionnement sociétal. Le généticien Albert Jacquard affirmait que le moteur de notre société occidentale est la compétition, et c’est un moteur suicidaire.

Apprendre à connaître la séquence de notre ADN, c’est aussi nous donner l’envie de contrôler son fonctionnement, de corriger les erreurs de la nature. Le CCNE nous disait, dans son avis N° 124 que la complexité biologique ne peut, pas plus que d’un déterminisme génétique, s’accommoder de l’idée qu’un génome standard serait définissable. Imaginer qu’il existerait un « génome normal », figé en quelque sorte lors de l’évolution de l’humain par rapport aux primates non humains, et qu’il conviendrait de préserver, est une illusion. Parler de gènes normaux et de gènes mutés est une aberration, puisque tous nos gènes, produits de cette évolution, sont, par définition, des gènes mutés. Il existe des mutations rares ou fréquentes, on parle plutôt de variants dont certains provoquent des maladies et d’autres pas. Ajoutant que la notion de « génome normal », dans l’acception « d’idéal génomique » n’a pas de sens, le comité posait la question : Comment se prémunir de l’illusion d’une « perfection » génétique ?

Il y a un peu plus de quarante ans, Joseph Fletcher, professeur d’éthique médicale et de bioéthique à l’université de Virginie, l’a dit : « la nature est d’abord une source d’aléa, de risques et de désordres. Elle doit être domestiquée, dominée par une mise en ordre rationnelle du monde qui en éradique les incertitudes, les imprévisibilités ». Quelle arrogance !

S’il est vrai que le hasard est très présent en biologie, lui qui permet que rien n’y fonctionne à 100 % (ni à 0 %) et que, donc, il y ait une dynamique et une plasticité du vivant, cette profession de foi scientiste donne le vertige. « Mise en ordre rationnelle » fait accroire que notre raison saurait englober l’intégralité du fonctionnement du vivant, que tout pourrait y être contrôlé, et y serait donc gérable.

Ceci est certainement plus de l’ordre du fantasme que de la réalité. C’est le langage séduisant du transhumanisme derrière lequel se cache l’incroyable vanité de ceux qui prétendent améliorer le vivant, le vivant humain en particulier dont ils ignorent pour l’essentiel de quoi il est fait et comment il fonctionne, ce qui ne procède certainement pas de la seule biologie, a fortiori de la seule génétique. Mais que ce soit dans le but de réparer ou celui d’améliorer, pour autant que cela veuille dire quelque chose, c’est bien à la génétique et ses outils les plus modernes qu’on fait appel. On entre dans le domaine de l’ingénierie du génome, certains diraient sans doute le bricolage génomique.

Pour effectuer des modifications dans l'ADN, le point de départ consiste toujours à accéder à un endroit précis du génome, unique dans les six milliards de bases, pour le couper. Il faut donc une main qui guide et une paire de ciseaux, et c'est exactement ce qu'est Crispr-Cas9, l’outil actuellement en vogue, dont nous avons sans doute toutes et tous entendu parler. Pour paraphraser Aragon, parce qu’à prononcer, son nom est difficile, y cherchait un effet de peur sur les passants. Crispr est une séquence qui sert de guide, tandis que Cas9 est une enzyme qui introduit une coupure dans le génome. La technologie continue d'avancer pour agir de façon toujours plus précise et fiable, voire pour pouvoir effectuer des modifications ciblées dans l’ADN sans même le couper.

 

Lulu et Nana, le pas de trop ?

 

Il n’a pas fallu longtemps après la première mise au point du système en 2012-2013 pour qu’on applique aux cellules humaines et à l’embryon humain cette technique qui en fascine plus d’un. Des travaux très décriés d’une équipe chinoise en 2015. Puis, de nombreux essais, à vocation cognitive pour certains. Crispr-Cas est un magnifique outil pour la recherche fondamentale. C’est indéniable.

Depuis, des essais cliniques de thérapie génique ont été lancés chez l’humain avec l’accord et même l’enthousiasme de la communauté scientifique internationale. Les sociétés CRISPR Therapeutics et Vertex Pharmaceuticals se sont associés pour lancer un essai en Allemagne visant à tenter une approche CRISPR pour le traitement de la β-thalassémie. Deux patients ne présentent plus de symptômes depuis plusieurs mois. Ces résultats sont remarquables car ils représentent la première preuve clinique que CRISPR-Cas9 a un réel potentiel curatif.

Mais, alors que Crispr-Cas9 est sur le point de devenir l'outil de choix d'ingénierie des gènes en clinique et que les défauts de jeunesse de la méthode semblent en passe de se résoudre, lui donnant toujours plus de fiabilité, certains ne résistent pas à la tentation de sauter les étapes. Marc Kirschner, biologiste et évolutionniste, le disait : « dans les sciences biomédicales, il y a une tendance croissante à assimiler la significativité de la science à n’importe quel type de pertinence médicale ». Il ajoutait : « En science, plus vite, mieux et moins cher ne sont pas aussi important que conceptuel, nouveau et minutieux ».

Un nouveau pas a donc été franchi avec la manipulation de l’embryon humain de sorte que les modifications introduites deviennent transmissibles à la descendance des bébés génétiquement modifiés. Un pas qui a fait frémir scientifiques, politiques, … Un peu tout le monde en fait. Cette expérience a conduit à la naissance de deux petites filles, Lulu et Nana, ainsi que He Jankui les appelle. Ce qu’a fait ce chercheur chinois qui vient d’être condamné par la justice chinoise à 3 ans de prison ferme et près de 400 000 euros d’amende, est expérimentalement très brouillon, scientifiquement peu pertinent, et éthiquement indéfendable.

On préfèrerait sans doute que la réflexion éthique ait été engagée sans que des êtres humains, deux petites filles, en l’occurrence, en soient les otages involontaires. Paul Ricœur en aurait dit : La seule question est de savoir si nous souhaitons employer dans ce sens nos nouvelles connaissances scientifiques et techniques, et l'on ne saurait en décider par des méthodes scientifiques. C'est une question politique primordiale que l'on ne peut guère, par conséquent, abandonner aux professionnels de la science ni à ceux de la politique.

 

En forme de conclusion…

 

J’ai commencé cet exposé en évoquant l’idée de progrès. Au moment de conclure, je voudrais revenir sur cette idée avec Nicolas de Condorcet. Pourquoi les progrès de l'esprit n'ont-ils pas toujours été suivis du progrès des sociétés vers le bonheur et la vertu ?  S’interrogeait-il. C’est certainement là qu’intervient la réflexion éthique que Paul Ricœur disait réserver à l’ordre du bien face à la morale qui est de l’ordre de l’obligation.

Nous avons vu que les questionnements sur le vivant en général, et l’être humain en particulier, sont, par essence, multiples et multiformes, souvent très spécialisés (scientifiques et techniques), mais ils nous concernent toutes et tous. La société ne saurait donc en faire l’économie

On attend d’une réflexion éthique qu’elle soit vigilance et volonté de ne pas être un obstacle aux progrès scientifiques ; qu’au-delà de soi-disant principes, elle s’interroge sur les valeurs, les valeurs que nous pouvons partager ; qu’elle soit utile et humaniste, de sorte que les progrès technologiques ne soient pas mis en œuvre dans n’importe quelles conditions, et à n’importe quel prix.

Nous pouvons nous réjouir de l'émergence de règles sur la responsabilité médicale et la responsabilisation des citoyens, sur la gouvernance, sur la gestion des risques et la prise de décision publique dans des situations d'incertitude scientifique, ledit principe de précaution. Ces règles sont essentielles à l'appropriation d'une connaissance de plus en plus complexe. Mais elles ne peuvent pas se substituer à un réel questionnement éthique, dans lequel on peut mettre en avant deux questions clés : (i) la place que nous donnons au progrès technologique dans le progrès de la société et de l'humanité, et (ii) la valeur que nous attribuons à la connaissance, la connaissance scientifique en particulier, dans ce progrès.

L'adhésion à la notion de progrès implique que la réflexion ne subisse aucune contrainte, qu’elle soit fondée sur une vraie information d’amont, sur un dialogue entre scientifiques, experts et politiciens, sur un questionnement citoyen de la notion même de progrès et de sa régulation, en particulier lors de l'émergence d'une nouvelle technologie. Et donc sur un débat public. L'éthique, la bioéthique devrait être débat, confrontation d’opinions et de convictions…

L’éthique doit se départir de ses tentations moralisatrices pour devenir ce qu’elle est censée être : une force de réflexion prospective, une ouverture au questionnement.

Tant qu’elle demeurera un caillou dans la chaussure de la société, l’éthique remplira pleinement son rôle éminent de lanceur d’alerte.

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