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20 avril 2021 2 20 /04 /avril /2021 10:24
Quelques réflexions sur Covid et vaccins

L’Union des Familles Laïques (UFAL), association familiale, a créé Laïcidade une chaîne de baladodiffusion qui comprend une émission principale du même nom et des émissions satellites comme « Laïkino », « I tréma » et « Scientia ». L'UFAL m'a demandé d'animer Scientia, et c'est ainsi que j'ai eu l'occasion de parler de l'actualité de la vaccination contre le Covid-19 pour tenter de mettre un peu de science (et d'humanisme) dans un débat très confus, et pour tout dire assez médiocre. Je n'aurai pas l'outrecuidance de prétendre qu'il sera moins médiocre après mon intervention, mais j'ose espérer qu'il sera plus clair.

Pour celles et ceux qui n'ont pas trouvé le chemin de l'UFAL et de sa chaine de baladodiffusion, je me permets de retranscrire deux de mes billets sur le sujet Covid/vaccination ci-dessous.

Bonne lecture...

Parler de science en temps de crise sanitaire

C’est fou, on ne peut pas lire les journaux, on ne peut pas écouter ou voir un flash d’information quelconque sans qu’il soit question de vaccins et de vaccination. On pourrait croire que c’est parce que nous vivons au pays de Louis Pasteur, un des grands précurseurs de la vaccination. Mais c’est, hélas, plutôt dû pour une bonne part aux trop nombreuses personnes qui, par ignorance ou par fanatisme se prononcent haut et fort contre les vaccins et la vaccination, les « antivax ».

Nous sommes aujourd’hui dans un temps, pandémie et crise sanitaire obligent, où l’on n’a jamais autant parlé de vaccin, celui contre le virus responsable de la Covid-19, en particulier. Nous sommes également dans une situation paradoxale dans laquelle la recherche scientifique et les innovations qu’on en attend sont l’objet de tous les espoirs mais cristallisent en même temps toutes les critiques.

Pour autant, la communication à ce sujet est souvent fort mauvaise. Les scientifiques et les médecins, ou plutôt certains scientifiques et certains médecins en sont en partie responsables. Mais il faut avouer que trop de personnes, et notamment des politiques  ou des journalistes plus avides de scoops que de vérité scientifique, et prompts à provoquer la division en alimentant des querelles et polémique stériles… Trop de personnes, donc, s’expriment à tort et à travers. La liberté d’expression n’a pas et ne doit pas avoir de limites, mais elle est souvent bornée par l’inculture, l’incompétence ou le manque d’humilité. Difficile parfois de savoir d’où tous ces pseudo-communiquants s’expriment, et donc ce qui justifie les tombereaux de bêtises incohérentes qu’ils assènent à la population fragilisée par la pandémie, fragilisée par les grandes difficultés auxquelles cette pandémie les expose et les peurs qu’elle induit.

Personnellement, je n’ai pas de leçons à donner, mais juste un peu d’information et de réflexion que je peux partager en toute humilité, mais aussi avec la rigueur scientifique, je n’oserai pas parler de compétence, que m’ont donné ma formation de virologiste et de généticien, ma pratique de la recherche scientifique au sein du CNRS et de la réflexion éthique à laquelle m’a initié ma participation pendant neuf ans aux travaux du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé, le CCNE.

Dans mon livre récent « Quand la santé fait parler l’ADN », je faisais la remarque qu’ « aujourd’hui, la santé est devenue une préoccupation sociale majeure ; les scientifiques et les soignants, avec leurs savoirs techniques sont souvent ceux que la société interroge sur ce qui est bon pour elle. Elle leur demande des pistes pour élaborer son futur ». Et je posais la question suivante : « N’existe-t-il pas une certaine dictature des « sachants », qui en ferait une référence de ce qui peut, et doit être fait ? Est-ce à eux qu’il revient de décider en dernier lieu de ce qui est juste pour une vie bonne ? Peuvent-ils être garants de ce qui est éthique ? »

Poser la question, c’est probablement penser que la réponse doit être négative. Mais si l’on peut être d’accord avec le philosophe Jacques Maritain que « La vérité est que ce n’est pas à la science de régler notre vie, mais à la sagesse », la science, dans son domaine qui est celui de la connaissance peut nourrir cette sagesse. Rappelons-nous que si les scientifiques peuvent être un peu coupés du monde, difficilement compréhensibles, parfois un peu arrogants, peu d’entre elles et eux sont fous ou ont passé un pacte avec le diable. Comment alors expliquer la défiance de certains vis-à-vis de la science et des scientifiques, défiance alimentée, certes, par les tendances complotistes de certains médias ? Comment faire pour que nous toutes et tous retrouvions la confiance en la science et ce qu’elle peut apporter à notre mieux être et au progrès de nos sociétés, progrès social en tête ? Dans un texte sur l’idée de progrès, Etienne Klein nous disait : « n’attendons pas tout, ni de la science, ni de son rejet. Car ni la science ni la négation de la science ne choisiront l’avenir à notre place ».

Parlons vaccination et vaccins

Je voudrais tenter de rappeler à quoi sert un vaccin et en quoi les vaccins à ARN sont différents des vaccins classiques.

Nous sommes en permanence exposés à des substances ou des organismes qui nous empoisonnent ou nous rendent malades. Heureusement pour nous, l’immunité nous donne la capacité de résister à l'action d'un poison ou d'un agent pathogène. Cette immunité peut être naturelle ou acquise. Acquise, elle peut l’être de façon spontanée à la suite d'une première exposition, une primo-infection que nous avons vaincue, ou artificiellement au moyen d'un vaccin.

Le nom même de vaccin nous reporte au XVIIIe siècle et à l’anglais Jenner qui eut l’idée d’utiliser le virus de la vaccine pour protéger les humains de la variole, maladie qui faisait alors des ravages. Cette histoire est belle aussi parce que ce fut un succès médical, permettant l’éradication totale de la maladie grâce à cette simple vaccination. Donc, ça fonctionne bien, en fait plus ou moins bien, mais toujours pour le mieux de notre santé. Dans nos contrées, on s’est ainsi débarrassé de la poliomyélite, en grande partie de la tuberculose et d’autres maladies parfois mortelles. Dans tous ces cas, le vaccin utilisé était l’agent infectieux lui-même, virus ou bactérie, atténué ou inactivé. C’est aussi la voie que les chinois ont choisie contre la Covid-19  avec les laboratoires Sinovac et Sinopharm.

D’autres vaccins sont et ont été utilisés qui mettent en œuvre des protéines, comme les toxines tétaniques ou diphtérique qui nous protègent efficacement contre le tétanos ou la diphtérie. Qui voudrait prendre encore le risque de mourir, dans des conditions atroces, de ces deux maladies ?

Les progrès technoscientifiques nous donnent accès à des protéines produites par génie génétique, contre la grippe ou l’hépatite B. Le groupe français Sanofi développe avec le Britannique GSK un vaccin utilisant une protéine du Sars-Cov-2, fabriquée cette fois par ingénierie génétique qui viendra enrichir la panoplie d’outils pour lutter contre la Covid-19.

On sait également faire produire par nos cellules ces fameuses protéines qui vont activer notre système immunitaire grâce à des virus dits recombinants, organismes génétiquement modifiés pour éliminer des gènes qui pourraient les rendre dangereux pour nous. Cette approche a été utilisée contre la maladie d’Ebola, par exemple. Elle l’est aussi dans le cas de la Covid-19 avec le vaccin d’AstraZeneca, de Johnson & Johnson ou du russe Spoutnik.

Mais les premiers vaccins anti-Covid-19 arrivés en Europe sont d’un autre type, entièrement nouveau, on les appelle vaccins à ARN messager. Les ARN messagers sont des molécules naturelles, universellement utilisées pour la transformation du message génétique (nos gènes) en protéines qui sont les chevilles ouvrières du fonctionnement de nos cellules. Les virus utilisent aussi ces messagers pour fabriquer leurs propres protéines. Bien sûr, mettre à profit cette extraordinaire mécanique pour nous défendre contre les maladies n’avait rien de simple ni de facile. Il a fallu beaucoup de temps et beaucoup de recherches, et on peut citer celles d’une biochimiste hongroise, Katalin Karikó, pour rendre ces ARN messagers utilisables en médecine, pour diminuer les réactions inflammatoires exacerbées qu’ils peuvent induire, pour les stabiliser puisqu’ils sont naturellement très labiles, très fragiles. D’ailleurs, le vaccin Pfizer bioNtech, malgré toutes les protections, reste très fragile et nécessite d’être conservé à -70°C, ce qui ne rend pas aisés son stockage et son injection en masse. Par contre, celui de Moderna se contente d’une température de stockage de -25°C.

Efficacité ou précipitation ?

Ce qui a frappé tous les observateurs, c’est le délai très court qui a séparé la découverte du nouveau virus, ce fameux Sars-Cov-2, et l’arrivée sur le marché de vaccins efficaces contre la maladie. Alors qu’on restait sur l’idée qu’il fallait des années pour mettre au point de tels outils, en faire les nécessaires essais cliniques, et en obtenir les agréments sanitaires, quelque mois ont suffit dans le cas de la Covid-19… Comment cela a-t-il été possible ?

Cette fabuleuse histoire illustre les progrès que la génétique, en particulier, a accomplis ces dernières années. Dès le virus identifié et isolé, les scientifiques ont été capables de déchiffrer son matériel génétique, de l’ARN dans le cas d’espèce, de reconnaître et de comprendre les gènes qui le constituent. Grâce à toutes les recherches faites sur les Coronavirus déjà connus, nous avons su très vite quelle pouvait être une bonne cible pour préparer des vaccins. Il s’agit de la protéine par laquelle le virus s’accroche à ses cellules cibles, lui permettant d’y pénétrer et de s’y reproduire. Disposant de la séquence du gène, nous avions tous les outils en main pour préparer en laboratoire les réactifs nécessaires à l’élaboration de vaccins. Pas besoin de multiplier le virus dans des cultures cellulaires, pas besoin d’en purifier la protéine en question, des processus très longs et couteux. Fabriquer de l’ARN messager est un processus relativement simple, bien rôdé, et très rapide. Si on y met beaucoup d’argent, ce qui fut le cas, pas de problèmes pour en fabriquer les quantités nécessaires à vacciner des millions de personnes.

Etant donné que nous étions en pleine pandémie, pas de problèmes non plus pour trouver les sujets d’une étude clinique de grande ampleur, 43 000 personnes dans le cas de BioNTech-Pfizer et plus de 30 000 pour Moderna, avec des suivis d’environ deux mois lors de la demande d’agrément auprès des autorités sanitaires.

Compte-tenu de la crise sanitaire, ces autorités de santé ont mis en place une méthodologie d’analyse des dossiers cliniques d’une grande efficacité qui a permis d’accélérer le processus d’autorisation sans que cela soit au détriment de la sécurité des personnes. Le CCNE a dit que le contexte pandémique a créé une situation d’urgence qui a déterminé une réactivité exceptionnelle pour parvenir au vaccin. Bien sûr, de nombreuses critiques, alimentées parfois par des fuites notamment au sein de l’Agence Européenne du Médicament, l’EMA, faisant état de pressions diverses, du pouvoir politique européen en particulier, ont tenté de jeter un discrédit sur les procédures d’autorisation. Mais à part semer le doute dans les esprits, ces polémiques stériles et surtout peu compréhensibles par un public non ou mal informé ne font que nourrir les lobbies anti-vaccin. J’y vois, personnellement, la trace d’un légitime et nécessaire dialogue entre ces autorités sanitaires et les concepteurs et fabricants de ces vaccins révolutionnaires.

Enfin, les entreprises ont accepté de prendre des grands risques financiers en lançant la production à grande échelle de leurs vaccins avant d’avoir toutes les autorisations, ce qui a, là encore, fait gagner beaucoup de temps.

Donc, aucune précipitation, mais une rapidité et une efficacité permises à la fois par les avancées de nos connaissances scientifiques, notamment en virologie, par les techniques extrêmement performantes de la génétique la plus moderne, par les financements incroyables mis sur la table pour répondre à l’urgence sanitaire, et par les capacités de production de l’industrie pharmaceutique.

Bien, c’est vrai que ce qui est nouveau et qui va vite a tendance à faire peur. Cela a toujours été… Rappelons-nous Pasteur et son vaccin contre la rage ! Mais rappelons-nous également que nous sommes, face à la Covid-19 dans une situation de vraie urgence sanitaire. Si ce n’est pas, bien évidemment, une excuse pour faire n’importe quoi, c’est une justification suffisante pour ne pas perdre de temps. Les malades vieux et jeunes, parfois hospitalisés en service de réanimation, celles et ceux qui subissent les séquelles de la maladie depuis des mois, mais aussi les proches de personnes que la maladie a emportées, ne comprendraient pas que l’on tergiverse alors qu’un outil de lutte potentiellement très efficace contre la maladie est là, prêt à être utilisé.

Risques ou danger ?

A cela, je sais, certains vont dire : « oui, mais il y a des risques ! » C’est vrai, mais toute entreprise médicale, et plus généralement toute entreprise humaine est associée à des risques. Il y a les risques auxquels on ne prête pas ou plus attention, comme traverser la rue, prendre sa voiture, fumer ou boire de l’alcool.

Le risque a la propriété d’être quantifiable, ce qui devrait nous aider à décider ce qui est acceptable compte-tenu d’un bénéfice attendu. Mais pour ce faire en toute conscience, il faudrait que les statistiques nous parlent, et c’est rarement le cas. Un risque de 1% de ceci ou cela, gênant, grave ou mortel peut nous faire oublier qu’il y a 99% de chances qu’il ne se passe rien. C’est en prenant des risques, en nous faisant prendre des risques que la médecine a permis d’améliorer la vie des humains et de la prolonger dans des proportions inenvisageables il n’y a pas encore si longtemps.

En matière de vaccination, et donc de prévention, nous avons l’impression d’être face à une équation impossible. Il y a le risque d’attraper le virus, celui d’en être malade, le risque qu’il s’agisse d’une forme grave, voire mortelle. Face à cela, il y a le risque de se faire piquer, celui réel même peu fréquent de réagir négativement à l’injection avec des effets connus et documentés tels que fièvre, mal de tête, nausées qui peuvent être également des effets secondaires d’une soirée bien arrosée, et qu’on accepte alors plus facilement sous le nom de gueule de bois. Et puis, il y a, et il ne faut pas le taire, le risque, beaucoup plus faible, d’effets adverses plus sérieux pouvant conduire jusqu’au décès de la personne vaccinée. Tout ceci est connu, très documenté, et les médecins comme les autorités de santé peuvent et doivent nous en informer et, dans la mesure du possible, nous aider à limiter ce risque. On ne vaccine pas un sujet poly-allergique ou une personne très âgée et fragile comme on peut le faire pour une personne en bonne santé et dans la force de l’âge.

Si l’on en revient aux 1% et 99% de tout à l’heure, il ne faut jamais oublier qu’en face du risque vaccinal, assez bien documenté et évaluable ou évalué, il y a le risque certainement pas moins important de ne pas se faire vacciner.

Mais il est vrai que la simple prise en compte de l'évaluation et de la gestion du risque, des risques notamment en matière de santé publique ne doit pas esquiver la question de son acceptation ou de sa non-acceptation. Il est alors question des aspects sociaux, juridiques, politiques, scientifiques, techniques, économiques et bien sûr éthiques associés. L’acceptabilité du risque trouverait ainsi son fondement dans la justification sociale des activités qui sont à l’origine du risque. Responsabilité individuelle et justification sociale pèsent sur la manière dont le risque est à la fois perçu et assumé, au nom et au bénéfice de quoi, et surtout de qui ? C’est dans ce qui peut apparaître comme une brèche dans la pensée que s’engouffrent les anti-vaccins qui, loin d’argumenter sur des risques vrais, se contentent d’agiter des peurs. Rappelons-nous l’adage populaire et néanmoins vrai que la peur n’évite pas le danger.

Le choix éthique et solidaire de se faire vacciner

Maladie nouvelle, vaccins nouveaux, fulgurance des avancées scientifiques, progrès médicaux, mais aussi manque de confiance, peurs, risques… Il y a tout cela dans la prévention de la maladie grave qu’est la Covid-19. Tout cela, et bien plus !

Notre individualisme naturel nous fait croire que c’est le JE qui est en cause. Ma liberté, MON choix. Je ME vaccine ou pas. Après tout, c’est de MA santé qu’il s’agit.

Et bien non ! L’acte de vaccination est un acte de santé publique. Ce n’est pas de moi, pas seulement de moi qu’il s’agit, c’est de NOUS. Pour permettre que je ne risque quasiment plus rien face à la variole, il a fallu de des millions de personnes acceptent d’être vaccinées pour que la maladie disparaisse.

Dans le cas de la Covid-19, si l’on ne sait pas encore exactement quel niveau de vaccination est nécessaire pour limiter significativement l’infectiosité du virus Sars-Cov-2, on sait que la recherche d'une immunité collective par le biais d'une infection naturellement acquise n'est pas une stratégie envisageable. Ce qui est en train de se passer dans certaines régions du Brésil le démontre. La vaccination n’est donc pas une option, ce n’est pas un choix individuel, mais une nécessité de santé publique, une obligation solidaire et éthique

Plus qu'une volonté, la solidarité peut être perçue comme résultant d'un lien social a priori. Solidarité a la même étymologie que "solide" et "seul". On y trouve donc à la fois la notion d'entièreté, de tout, de cohésion et de la force qui en résulte. La cohésion sociale nait d'un lien créé/accepté au titre d'une obligation solidaire, elle recouvre la notion d'interdépendance, de dépendance mutuelle entre personnes ayant ou ressentant le besoin qu'ils ont les uns des autres. En cela, la solidarité se distingue de la générosité qui n'implique aucun lien a priori et qui participe d'une démarche individuelle. Pour autant, la reconnaissance d'une dépendance, d'une interdépendance entre personnes n'oppose pas, ne doit pas opposer formellement solidarité et liberté, sauf à faire de cette dernière un absolu fondé strictement sur un choix individuel.

Si la solidarité, ce que notre devise nationale nomme Fraternité est un principe éthique fondamental, en particulier en matière de vaccination et plus encore lorsqu’il y a urgence sanitaire et vaccinale, l’ensemble de la réflexion éthique doit nourrir les actions publiques dans ce domaine, ce qu’on nomme la stratégie vaccinale. Tout faire pour qu’une politique de santé et/ou de recherche puisse réellement exister, en particulier dans le domaine de la santé publique, est indispensable, mais il faut être conscient qu’elle est souvent restreinte à l'art du possible, alors que l'éthique tente de l'amener à « l'art du meilleur ». En d'autres termes, l'éthique n'est pas responsable de dire le « bien », mais de faciliter le développement de ce que la société veut mettre en place en termes de « vie bonne », de vie meilleure lorsqu’on est en période de crise sanitaire grave comme c’est le cas aujourd’hui.

Ainsi que je le dis souvent, la réflexion éthique qui a pour fonction d’interpeler les modes de pensée et d’agir, de remettre en question les certitudes, les pouvoirs, les pensées dominantes et les modes, se doit d’être indépendante et plurielle, laïque en quelque sorte, afin de lever les tabous et empêcher que certaines questions, y compris les plus difficiles, ne soient pas posées.

Covid-19 et ses vaccins, on n’a pas encore le c… sorti des ronces

La vaccination anti-Covid-19 reste un sujet d’inquiétude pour nous tous, et un sujet de polémique à l’heure où un vaccin, celui d’Astra-Zeneca est mis en quarantaine par plusieurs pays, notamment européens. Inquiétude, polémique, voilà qui confirme ce que disait le professeur François Renaud en décembre dernier : Jamais vaccin n’a fait autant parler de lui.

Il précisait sa pensée en disant : « Il faut avouer que si les scientifiques avaient voulu saboter leur travail de recherche ils ne s’y seraient pas pris autrement. Bien aidés d’ailleurs par une mauvaise communication de la part des politiques et par les chaines d’information en continue toujours promptes à provoquer de la division « Le vaccin nouveau est arrivé » (comparaison à peine voilée à notre beaujolais). Il suffit de le dire et d’accompagner ses propos par un étonnement sur la rapidité de la mise au point pour que des milliers, voire des millions d’internautes s’improvisent biologistes expérimentés et déversent sur les réseaux sociaux des monceaux de bêtises incohérentes ».

C’est vrai qu’il est un peu difficile de s’y retrouver avec tous ces vaccins différents utilisés, testés, étudiés, autorisés ou pas encore, reposant sur de technologies différentes auxquelles la majorité d’entre nous ne comprend pas grand’ chose. Un adage populaire dit qu’abondance de bien ne nuit pas. Ces vaccins sont peut-être un contre-exemple !

Je me rappelle, dans les années soixante. Il n’était pas question de Covid, mais de poliomyélite. La confusion venait du fait qu’il y avait DEUX vaccins. Deux, c’est moins que beaucoup, mais c’était déjà trop. Il reste que, grâce à ces deux vaccins, le vaccin Salk injectable et le vaccin Sabin ingérable, la polio a quasiment été éradiquée.

Incidemment, rappelons que les inventeurs de ces deux vaccins avaient renoncé à les breveter afin de permettre leur diffusion rapide au plus grand nombre. Eh oui, il y a des gens biens même chez les scientifiques et les médecins…

Quasiment éradiquée, la polio, mais il reste des accidents vaccinaux, parfois gravissimes qui n’ont pourtant pas fait interrompre les campagnes de vaccination. Quasiment mais pas totalement en 30 ans. Pour le Covid-19, on en est à trois mois, alors, un peu de patience ! C’est difficile, la patience quand la maladie tue chaque jour en France autant de personnes qu’un crash d’un Airbus A350.

Même s’ils sont généralement d’une remarquable efficacité, les vaccins ne sont pas des baguettes magiques. Soyons non seulement patients, mais aussi un tantinet réalistes. La crise sanitaire due au Covid-19 est grave et profonde. Et elle risque de durer !

Sir Roy Anderson, épidémiologiste des maladies infectieuses à l'Imperial College de Londres a dit : « Le public doit prendre conscience que cette maladie ne va pas disparaître. Nous allons pouvoir la gérer grâce aux vaccins et à la médecine moderne, mais ce n'est pas quelque chose qui finira tout simplement par s'en aller ». Suivant le niveau de contamination que nous sommes décidés à accepter, ou plutôt que nos autorités sanitaire accepteront de nous faire subir, nous serons dans une politique zéro-Covid comme en Nouvelle-Zélande et quelques autres pays notamment en Asie, ou dans la situation de « vivre avec le virus », comme chez nous, avec une panoplie de mesures ou mesurettes et d’outils sophistiqués de surveillance moléculaire afin de suivre l'évolution du virus.

Dans le premier cas, l’option zéro-Covid, la vaccination est particulièrement efficace. Parce que la sélection de nouveaux variants, dont certain, comme le soi-disant variant anglais, sont plus infectieux ou, comme le sud-africain, échappent mieux aux vaccins, cette sélection est plus faible. Pour simplifier : moins de virus circulant è moins de variants èmeilleure efficacité vaccinale.

Dans le second cas, le vivre avec, on écope, on écope en espérant ne pas être submergés, et on prie pour être capables d’adapter les vaccins aux nouvelles souches virales. Ça devrait aller ! Il faut juste avoir de bons freins, et ce n’est pas évident !

De toutes façons, quelle que soit la politique sanitaire choisie par le gouvernement, il vaut mieux être vacciné que de prendre le risque de ne pas l’être. En offrant une protection immunitaire avec un maximum de sécurité, les vaccinations contre le Covid-19 accéléreront la diminution, sinon le contrôle, de la charge virale des populations pour le Sars-Cov2 et réduiront massivement le nombre de morts en cours de route. C’est une question de santé publique.

Alors, cette abondance de vaccin anti Covid-19, que faut-il en penser ? En premier lieu, je dirais : Beaucoup de bien ! En effet, elle signifie qu’il y a eu une mobilisation fantastique du monde médico-scientifique pour mettre au point en un temps record, des armes efficaces pour lutter contre la pandémie. Ne boudons pas notre plaisir de pouvoir dire un grand merci à tous les chercheurs qui ont rendu cela possible.

Ce n’est pas parfait, certes, mais rappelons à celles et ceux qui pensent que tout cela est bien trop dangereux, que c’est surtout ce fichu virus Sars-Cov2 qui est bien trop dangereux. Rien qu’en France, en a peine plus d’un an, plus de 4 millions de personnes ont été contaminées et plus de 90 000 en sont décédées. Et pas seulement des vieux !

L’OMS, organisation mondiale de la santé, a accordé le 31 décembre 2020 une autorisation d’utilisation d’urgence au vaccin Pfizer-BioNTech (BNT162b2). Le 15 février 2021, elle autorisait l’utilisation d’urgence de deux versions du vaccin AstraZeneca/Oxford fabriquées par le Serum Institute of India et SKBio. L’OMS prévoit d’autoriser d’autres vaccins au titre du protocole d’urgence d’ici juin prochain.

L’OMS collabore dans le monde entier que soient coordonnées les grandes étapes de ce processus, et notamment pour garantir un accès équitable aux vaccins pour les milliards de personnes qui en ont besoin.

Dès qu’un vaccin a donné la preuve de son innocuité et de son efficacité, il doit être homologué par des autorités nationales de réglementation, fabriqué selon des normes rigoureuses et distribué au plus grand nombre.

Quatre vaccins sont autorisés en Europe : ceux de Pfizer-BioNTech, de Moderna, d'AstraZeneca et de Johnson&Johnson. Ceux des Russes, le Spoutnik V, et des Allemands, le CureVac, sont toujours examinés par l'EMA.

Les vaccins chinois utilisent des virus tués ou très atténués, un peu à la mode Louis Pasteur. Ils répondent donc à un certain classicisme vaccinal. A part ceux-là, les différents vaccins utilisés ou en cours d’autorisation, ciblent tous une protéine, un constituant particulier du virus. Il s’agit de la protéine Spike qui permet au SARS-CoV-2 de pénétrer dans nos cellules. Comme elle est exposée à la surface du virus, Spike est accessible aux anticorps et aux cellules immunitaires de divers types, mais toutes habilitées à tuer. Des agents 00 en quelque sorte. Parce qu’on a su très rapidement séquencer les gènes du virus, et notamment son gène Spike, on a pu réaliser différentes opérations :

1°) Fabriquer en grande quantité la protéine dans un tube à essai pour l’utiliser comme vaccin. Mais ce n’est pas si simple et ce type de vaccin n’est pas encore disponible, sauf peut-être à Cuba.

2°) Fabriquer en grande quantité l’ARN messager qui permet à la cellule de fabriquer la protéine. On sait aujourd’hui stabiliser et injecter cet ARN et c’est la base des vaccins BioNTech et Moderna dont je vous ai parlé dans Scientia N° 1. Technologie très innovante et particulièrement efficace. Très peu d’effets indésirables graves jusqu’à présent. Mais l’ARN est fragile et nécessite de conserver les vaccins à très basse température. Cela ne simplifie pas la logistique. Et puis, nous ne disposons pas de suffisamment de doses pour vacciner en masse.

3°) Fabriquer un virus artificiel contenant le gène Spike dans son ADN. Il s’agit donc d’un virus génétiquement modifié, ce qui n’est ni un gros mot ni un outil intrinsèquement dangereux. Le support viral est généralement un adénovirus, ces virus auxquels nous sommes exposés tous les hivers et qui nous donnent des rhumes, entre autres. On dit qu’ils sont des vecteurs moléculaires destinés à transporter le gène qu’on souhaite d’un tube à essai ou d’une culture cellulaire jusqu’à nos cellules cibles. Utiliser l’adénovirus comme vecteur n’est pas une idée ni récente ni nouvelle. Je me rappelle qu’en 1974-75, le prix Nobel et directeur de l’Institut Pasteur Jacques Monod avait lancé un programme d’étude sur le sujet, très polémique déjà à l’époque. Pourtant, comme le fait remarquer Axel Kahn, généticien et président de la Ligue Nationale contre le Cancer, « cette technologie a peu d’antécédents chez les humains ».

Trois types d'adénovirus vecteurs du gène de la protéine Spike sont utilisés dans les vaccins anti-Covid19 approuvés ou en cours d’approbation :

  1. Un adénovirus de chimpanzé pour le vaccin d’Oxford/AstraZeneca,
  2. L'adénovirus 26 pour celui de Johnson & Johnson,
  3. L'adénovirus 5 pour le vaccin CanSinoBio développé en Chine,
  4. Les adénovirus 26 et 5 pour le vaccin Spoutnik V développé par l'institut russe Gamaleya. Pourquoi deux adénovirus différents ? La première injection du vaccin Spoutnik V contient un adénovirus 26 qui exprime la protéine Spike, et la deuxième injection, le rappel de vaccination se fait avec un adénovirus de type 5, dans l’espoir de limiter la réaction immunitaire contre le vecteur adénovirus et permettre au système immunitaire de se concentrer sur la protéine Spike qui est sa cible principale. Enfin, c’est ce que nous voulons !

Les vaccins Oxford/AstraZeneca et le vaccin Spoutnik sont administrés en 2 injections espacées d'au moins 3 à 4 semaines alors que les vaccins Johnson & Johnson et CanSinoBio sont administrés en une seule injection. Ces derniers sont donc, au moins sur le papier, plus faciles d’utilisation , en particulier en situation d’urgence sanitaire.

Le vaccin d’Astra-Zeneca est aujourd’hui au centre d’une controverse. Il est très efficace contre les formes graves, 100 %, et un peu pour les autres formes. Mais il est aussi connu pour provoquer des effets indésirables bénins, comme des réactions pseudo grippales contrôlables par du paracétamol. Il pourrait peut-être s’agir d’une réponse à l’infection bénigne par l’adénovirus de singe contre lequel nous n’avons, a priori aucun anticorps. Mais le problème n’est pas là. En effet, on a observé de très rares cas de problèmes graves, parfois mortels, de la coagulation dans plusieurs pays après vaccination par le vaccin d’Astra-Zeneca. Une trentaine de cas ont été rapportés. C’est peu sur des millions de personnes vaccinées, d’autant que la Grande Bretagne qui en a injecté plus de 20 millions de doses, n’a pas rapporté ces mêmes effets secondaires gravissimes.

Le 17 mars, le généticien Axel Kahn s’étonnait : « L’attitude de beaucoup de médecins, honorables confrères, m’a surpris. Ils se sont élevés avec véhémence contre l’interruption temporaire de la vaccination. Et quoi, on détecterait des risques faibles mais apparaissant hautement spécifiques d’accidents graves et on n’y regarderait pas de plus prêt ? Cela irait à l’encontre de toutes les règles de la pharmacovigilance de produits nouvellement sur le marché et risquerait de saper encore plus la confiance dans les autorités de santé.

Même si le rapport bénéfice-risque du vaccin Astra-Zeneca est très favorable, ce qui semble certain mais n’est qu’un des éléments du problème, l’avenir de son utilisation est fort compromis, sachant que de nombreux produits plus sûrs sont disponibles ou à venir ».

On se trouve ainsi confrontés au fameux et mal aimé principe de précaution, car c’est en son nom qu’on a interrompu l’administration du vaccin d’Astra-Zeneca dans plus d’une dizaine de pays, en Europe, certes, mais pas seulement puisque la Thaïlande et l’Indonésie ont stoppé le démarrage de l’utilisation de ce vaccin pour leur campagne vaccinale.

J’ai coutume de dire que ce principe de précaution a deux défauts ou problèmes principaux. Le premier est d’être qualifié de principe et le second est de mettre en scène la précaution dont nous avons, bien qu’il s’agisse de quelque chose d’instinctif, assez peu de notions. De fait il s’agit de la prise de décision publique en situation d’incertitude scientifique, comme le dit si bien de Comité de la Prévention et de la Précaution, dont je m’honore de faire partie. Mais, comme le titrait Le Figaro, « la politique n’arrive plus à distinguer le danger et le risque ». Comme l’écrivait la juriste Isabelle Veillard, « Le corollaire du principe de précaution en présence d’un risque avéré est le principe de prévention ; ainsi « la distinction entre risque potentiel et risque avéré fonde la distinction parallèle entre précaution et prévention ».

En présence d’un danger, donc d’un inconnu non quantifiable qui ne permet pas d’évaluer un risque, il faut apprendre à connaître le signal d’alerte afin de le comprendre. Ce principe de précaution est donc loin d’être une justification à l’inactivité, un simple stop, mais au contraire un appel à la science, à l’activité scientifique, à l’amélioration de notre niveau de compétence scientifique. Laissons donc les scientifiques sérieux nous dire si les problèmes attribués au vaccin d’Astra-Zeneca sont réellement liés à la vaccination, et, si oui, s’il est possible de déterminer quelles sont les personnes, ou plutôt les groupes de personnes à risque de développer des accidents de coagulation.

Devant subir une petite intervention chirurgicale, j’avais eu une discussion intéressante avec l’anesthésiste qui devait m’endormir. A la fin, il me dit : « il faut quand même que je vous parle des risques que vous connaissez sans doute. Vous savez qu’on peut mourir au cours d’une anesthésie ? ». Oui, bien sûr ! « Mais bon, vous avez plus de risques de vous faire écraser par un bus en sortant de l’hôpital ». La probabilité de se faire écraser en traversant une rue est extrêmement faible. Pourtant, cela ne nous empêche pas de faire attention en traversant cette rue.

Rappelons-nous, si nous avons la tentation de dire qu’après tout le risque est très faible et que le rapport bénéfice/risque reste très favorable, en un mot, si nous avons l’envie de céder à la tentation du moindre mal, rappelons-nous donc ce qu’en disait la philosophe Hannah Harendt : « Politiquement, la faiblesse de l'argument du moindre mal a toujours été que ceux qui choisissent le moindre mal oublient très vite qu'ils ont choisi le mal ».

Lors des Journées Nationales d'éthique, organisées par le CCNE en 2006, Didier Fassin nous disait que les « sociétés contemporaines ne cessent (…) d'inventer de nouveaux intolérables, c'est-à-dire de nouvelles frontières morales à ne pas transgresser, ce qui participe du reste de la construction d'une commune humanité – autour des valeurs de respect, de dignité et intégrité tant physique que sociale… » Il parlait d’intolérable, mais jusqu’où sommes nous prêts à repousser les limites de ce que nous sommes disposés à accepter, en termes de politique sanitaire, en particulier ? Pour répondre à cette question, il faut considérer l’impérieuse nécessité d’une vraie information en amont, du dialogue entre experts et politiciens, et d’une réflexion citoyenne sur le concept de « progrès » et de « régulation », en particulier au cours de l’émergence d’une technologie nouvelle ou d’un nouveau vaccin pour ce qui nous intéresse aujourd’hui. Et donc l’impérieuse nécessité du débat public. Certains appellent cela la transparence, je préfère le qualifier de démarche éthique.

 

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