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6 mars 2011 7 06 /03 /mars /2011 11:08

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La découverte récente de la possibilité de reprogrammer des cellules adultes en cellules pluripotentes (des cellules qui peuvent se différencier en une grande variété de cellules spécialisées de l’organisme) a engendré de très grands espoirs tant dans le domaine thérapeutique (médecine dite régénérative) que pour l’étude des maladies ou la compréhension des processus impliqués dans le développement embryonnaire.



Différentes techniques peuvent être utilisées pour obtenir cette reprogrammation, et de leurs progrès dépend notre capacité à les faire ressembler au plus près des cellules souches embryonnaires.

Cette reprogrammation, qui n’est pas génétique mais épigénétique, se produit naturellement lors des étapes de gamétogenèse et de fécondation lorsque cellule unique - la cellule œuf - devient, pour quelques générations seulement, totipotente. C’est-à-dire qu’elle possède la capacité de produire les plus de deux cents types cellulaires différents qui constituent un organisme adulte. Ce processus épigénétique implique des modifications de l’ADN, des méthylations en particulier, qui affectent des régions, des sites précisément déterminés du génome. Le profil de méthylation de l’ADN d’une cellule est donc une de ses caractéristiques fondamentales. Globalement, le profil de méthylation de l’ADN de cellules iPS est très semblable à celui d’une cellule souche embryonnaire. Mais comme le diable se cache dans les détails, seule une étude telle que celle menée au Salk Institute[1], une étude base par base, a permis de détecter des différences très significatives de méthylation entre ces deux types cellulaires, notamment dans des régions  du génome dans lesquelles le profil de méthylation est très distinct entre des cellules souches embryonnaires et des cellules somatiques adultes.

Deux autres études publiées également dans la revue Nature[2] rapportent que des cellules adultes reprogrammées iPS contiennent plus de mutations que les cellules normales. Une de ces études a trouvé une moyenne de six mutations ponctuelles dans chacune des 22 lignées cellulaires iPS qui ont été transformées par diverses méthodes. L'autre démontre que des lignées de cellules iPS présentent un nombre plus important de variations de nombre de copie - petites délétions ou duplications - que les cellules adultes dont elles dérivaient.

Une fois de plus, notre emballement à penser que nous savons beaucoup plus que nous ne savons en réalité, nous a fait assimiler cellules souches embryonnaires et cellules adultes reprogrammées iPS, et croire que nous pouvions impunément utiliser l’un pour l’autre. Les mutations observées dans les cellules iPS rendent leur utilisation en tant qu'agents thérapeutiques plus inquiétante et repoussent cette utilisation vers un futur dans lequel nous en saurons beaucoup plus sur leur nature exacte, leur physiologie pour qu’elles deviennent des outils sûr et efficaces et cette médecine régénérative.

 

Face à ces réalités scientifiques, on trouve une autre forme d’emballement qui repose sur ce que je qualifierais d’« alibi éthique ». Face à la terreur qu’inspire l’utilisation de cellules souches embryonnaires humaines et le risque qu’elle engendre de réification de l’embryon humain, la découverte par Yamanaka[3] de la possibilité de reprogrammer des cellules adultes en cellules pluripotentes, est apparue comme une sorte de panacée éthique. On a pu lire, par exemple, sur le site Ichtus : « Parce que la technique des cellules iPS permet de « se passer des recherches sur l’embryon, ce qui est, in fine, le but recherché par la bioéthique » selon le mot juste de Jean-Marie Le Méné, elle réconcilie indéniablement la science et l’éthique. Les responsables politiques sauront-ils en tenir compte alors qu’est prévu en 2010 le réexamen par le Parlement de la loi de bioéthique ? ». Ou encore, sur le site Généthique : « Cellectis tient à souligner que "les iPS ne se heurtent à aucune des questions éthiques liées aux cellules embryonnaires". (…) Une recherche performante dans le domaine de la thérapie cellulaire est possible sans abdiquer l'éthique. » !!!!!!!!

Ainsi, il semble, pour certains, que l’éthique se résume à utiliser l’embryon humain ou pas. L’histoire, récente et donc courte, des cellules iPS nous montre que le questionnement éthique est un peu plus complexe. Il nous interroge, par exemple, sur la légitimité d’utiliser le plus rapidement possible une technologie nouvelle sans même avoir pris le temps de vérifier son innocuité. Or, il était évident pour n’importe quel observateur attentif, que la manipulation de cellules, si brillante soit-elle, était susceptible d’engendrer des problèmes de sécurité sanitaire. Au moins autant si ce n’est plus que l’utilisation de cellules « naturellement » pluripotentes. Même le directeur scientifique de l’Académie pontificale pour la Vie l’a dit : « Il faut éviter aujourd’hui avec les cellules iPS de tomber dans le « hype », la surenchère, les promesses injustifiées et excessives ».


Nous ne sommes donc pas encore rendus au point où les cellules iPS représenteraient une alternative d’efficacité comparable aux cellules souche embryonnaires humaines telles qu’on puisse se dispenser de ces dernières. Et malgré leur « faible efficacité » en termes de thérapeutique qui a été soulignée[4] avec délectation par les adversaires de la recherche sur ces cellules souches embryonnaires humaines, celles-ci demeurent une référence, scientifique au moins.

 



[1] Lister et coll. Nature 471, 68-73 (2 February 2011)

[2] Hussein et coll. Nature 471, 58-62 (2 March 2011)

       Gore et coll. Nature 471, 63-67 (2 March 2011)

[3] Cell, 2007, 131 : 861-872

[4] “Les cellules souches embryonnaires KO ?” titre l’article d’Ichtus cité plus haut

 

 

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