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17 juin 2008 2 17 /06 /juin /2008 19:04
Après les déclarations intempestives de la Ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche dans le journal " le Monde" du 20 mai 2008 sur l'organisation du CNRS et le rôle qu'elle lui attribue dans le grand champ des sciences de la vie, on ne peut qu'être déçu par les timides - et souvent maladroites réactions de la communauté scientifique.

Il y a d'abord eu la réflexion d'anciens directeurs des sciences de la vie du CNRS en faveur de l'externalisation des problèmes du CNRS vers un institut indépendant du vivant et de la santé (*). Puis un appel lancé sur le Web sous forme de pétition pour que le vivant ait, comme les autres, son institut au sein du CNRS (**). Enfin une action conjointe des directions du CNRS et de l'Inserm qui ont publié un communiqué commun dans lequel la bonne entente que leur impose la Ministre est scellée non dans le marbre, mais dans la guimauve d'un consensus mou (***).
En effet, si le CNRS perçoit cet accord comme une victoire dans la crise qui met en cause le département des sciences du vivant (soit presque un quart de ses forces), aucun problème n'est réglé ni par une sorte de "Yalta" dans le domaine biomédical, ni par une soi-disant réflexion sur les autres aspects des sciences de la vie qui "feront l'objet de discussions ultérieures" (sic). Que de mépris dans ce renvoi aux calendes grecques de l’examen de disciplines tellement « mineures » comme la Biologie structurale, la Génomique structurale et l’Evolution, la Biologie végétale ...

Les scientifiques devraient sans doute, concernant leur avenir, manifester un même niveau de réflexion et de créativité que celui qui les maintient, quoi qu'on en dise, en bonne place dans la compétition scientifique internationale. Se lançant d'emblée dans l'appel ou l'action, ils se comportent soit comme ceux –qu'ils critiquent souvent- qui veulent les applications de la Science avant même que les bases fondamentales de leurs découvertes soient établies, soit en tentant de s'adapter au plus vite à tout ce qui leur est imposé de l'extérieur (pensons au drame du caméléon sur un tartan écossais). Dans tous les cas, ils feignent d'ignorer quelle est la guerre qu'ils sont en train de perdre.

La Ministre a annoncé qu'elle attribuait le "leadership" et la coordination des sciences de la vie à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) et le Commissariat à l'énergie atomique (CEA), c'est-à-dire à des institutions à vocation appliquée. Il s'agit donc d'un pilotage par l'aval. La réponse du CNRS est de dire "entendons-nous avec l'Inserm pour le biomédical, ainsi nous aurons un strapontin dans le pilotage de ce domaine, … C'est mieux que rien !" Ce faisant, on entretient l'illusion que le biomédical est une science à part entière et non un sous-ensemble du vivant.
Le CNRS est alors volontaire pour s'inscrire dans le prétendu continuum qui mène de la recherche fondamentale au lit du malade. Le moins que l'on puisse dire est que le continuum est discontinu. En effet, cherchons où sont les nœuds de pouvoir. À titre personnel, nous en voyons deux : le pouvoir médical puisqu'il tient le lit du malade et donc la recherche clinique, et le pouvoir de l'argent qui envisage ses investissements au plus près du lit du malade, c'est-à-dire au plus près d'un possible retour sur investissement.
Ce sont de véritables "nœuds" puisqu'ils enferment les décisions politiques et brident les scientifiques jusque dans leur réflexion. Or rien n'est inéluctable qu'on ne soit décidé à accepter. Il existe un pouvoir, un contre-pouvoir : le pouvoir de celui qui fait. La Science est faite par des scientifiques. On l'oublie, on les oublie trop souvent voire comme en ces temps troublés on les tient pour quantité négligeable. Puissent-ils ne pas s'oublier eux-mêmes, et ramener la guerre sur leur propre terrain : la guerre pour la connaissance avant la guerre pour les applications (pour les profits ?). Même les Etats-Unis, Empire du libéralisme économique, l'ont compris. Pourquoi devrions nous nous distinguer sauf à vouloir « réformer » à tous crins quitte à détruire pour le plaisir, et désespérer pour longtemps des générations de Biologistes ?

Article co-écrit par Patrick Gaudray (Directeur de Recherche au CNRS, ancien directeur scientifique adjoint du département des sciences de la vie du CNRS), et Jean-Louis Nahon (Directeur de Recherche au CNRS, ancien membre du Comité National de la Recherche Scientifique)
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