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5 mai 2014 1 05 /05 /mai /2014 16:43

37 000 000 : C’est le nombre qui s’étale dans bon nombre de journaux comme étant celui des morts prématurées évitables avec une vie plus saine (BFMTV, par exemple). Le site Pourquoi docteur ? enfonce le clou en précisant : « En réduisant raisonnablement les consommations de tabac, de sel, d'alcool, et en luttant contre la tension, le diabète et l'obésité, il serait possible d'éviter des millions de décès prématurés dans le monde ». Quelle surprise !

En fait, le pavé a été jeté dans la mare médiatique par la revue médicale The Lancet[1] qui rapporte une étude d’épidémiologistes britanniques sur les six facteurs de risque de maladies non transmissibles dont le contrôle permettrait d’atteindre l’objectif 25x25 de l’assemblée générale des Nations unies de diminuer de 25 % entre 2010 et 2025 le fardeau des quatre plus importantes de ces maladies : cardiovasculaires, respiratoires chroniques, cancéreuses et diabétiques. Belle perspective,… Et article scientifiquement intéressant. Ce qui m’interpelle, c’est la présentation qui en est faite auprès du « grand public ».

Trente-sept millions, c’est énorme !!! Bon, précisons que ce nombre représente  celui de l’ensemble des morts qui pourraient être ainsi évitées sur les quinze années concernées, et non un nombre annuel. Précisons également que plus de 60 millions de personnes décèdent annuellement dans le monde de causes variées (les « 37 millions » n’en sont qu’un petit 4 %), dont un bon tiers de maladies infectieuses, qui ne sont pas concernées par l’étude britannique. Il s’agit donc d’une étude ciblée, ponctuelle pourrait-on dire.

Trente-sept millions, cela dépasse l’entendement !!! Alors, afin de mieux comprendre, il peut être utile de consulter le rapport du Haut Conseil en Santé Publique (HCSP) daté d’avril 2013 sur les « indicateurs de mortalité « prématurée » et « évitable ». Il analyse les résultats de nombreux travaux internationaux pour proposer « des recommandations concernant la définition, l'utilisation et l'interprétation des indicateurs de mortalité prématurée et évitable. Ces indicateurs sont destinés à être utilisés dans un contexte global de pilotage et de suivi des politiques et des actions de santé publique ». Il distingue clairement deux indicateurs complémentaires : « la "mortalité évitable liée à la prévention" et la "mortalité évitable liée au système de soins". », et propose, afin d’évaluer « l'impact des actions de prévention ou la qualité et l'efficacité du système de soins », qu’ils soient « nécessairement complétés par d'autres types d'indicateurs (morbidité, incapacités, santé ressentie…) ».

Ainsi, il faut sans doute être un peu prudent avant de lancer en pâture aux lecteurs non avertis des statistiques, ou plutôt des modèles prospectifs racoleurs. La science, même médicale, est toujours un peu plus complexe que cela…

Quant à l’image qui est donnée par ces articles aux titres lapidaires, elle me semble déplorable. 0 l’heure où les enfants d’Afrique meurent du paludisme ou de la rougeole, à l’heure où un milliard d’êtres humains n’ont pas accès au minimum vital de nourriture, où approximativement le même nombre n’ont pas accès à l’eau potable, où l’hygiène de base n’est pas disponible à des millions d’entre nous, mettre en avant ce qui peut apparaître comme des « maladies de riches », même si elles affectent également – et parfois plus encore – les plus pauvres, me semble friser l’indécence...

... Au moins cela doit-il être mis en perspective et expliqué.

 


[1] Kontis V, Mathers CD, Rehm J, Stevens GA, Shield KD, Bonita R, Riley LM, Poznyak V, Beaglehole R, Ezzati M. Contribution of six risk factors to achieving the 25×25 non-communicable disease mortality reduction target: a modelling study. The Lancet; published Online May 3, 2014.

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Trente-sept millions
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