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8 juillet 2008 2 08 /07 /juillet /2008 23:19
En 2004 déjà, les réflexions sur le devenir du CNRS, et particulièrement des sciences de la vie au sein du CNRS avaient amené la direction du vivant au CNRS à rappeler qu'il est le seul organisme en France, et sans doute dans le monde, qui ne se confine pas dans un sous-ensemble du Vivant, mais qui le prenne en charge dans toute sa dimension, y compris sa dimension interdisciplinaire. C’est sans doute là sa vraie singularité, plus encore que sa spécificité « fondamentale ». Sur ce principe de singularité, un organisme « unique » de recherche sur le Vivant aurait sans doute sa justification, et possèderait peut-être un dynamisme que son appartenance actuelle au CNRS entrave quelque peu. À cette époque, en tant que généticien qui croit à l’avantage sélectif des hétérozygotes et de biologiste qui pense que la richesse vient de la biodiversité, je me méfiais de la réduction des sciences du vivant en France à un organisme unique. En effet, il y a probablement plus de richesse dans la mise en avant de vrais partenariats qui, dans le domaine biomédical par exemple, constituent un véritable objectif scientifique plus encore qu’un objectif d’organisation.
Devant la situation catastrophique dans laquelle on semble entraîner inexorablement le champ du vivant, au sein du CNRS en particulier, d'anciens directeurs des sciences de la vie du CNRS ont manifesté, le 26 mai 2008 sur le blog de Sylvestre Huet de Libération, en faveur de la création d'un institut indépendant du vivant et de la santé. Le 20 juin 2008, ce fut au tour Jean-Marc Egly de lancer, dans le Figaro, un plaidoyer pour un unique Institut des sciences du vivant. Puis, comme un écho, un appel analogue de trois chercheurs de grand prestige, Jean-Pierre Changeux, Jean-Laurent Casanova et Patrick Mehlen (les Echos du 4 juillet 2008).
Si beaucoup considèrent qu'il y a urgence à simplifier le paysage de la recherche française dans le domaine des sciences de la vie et éviter son morcellement actuel entre de trop nombreuses institutions (CNRS, Inserm, INRA, IRD, CEMAGREF, …), on peut légitimement se demander si la mise en place d'un organisme « unique » de recherche sur le Vivant pourrait devenir l'objet d'un consensus et rassembler la grande communauté des chercheurs en sciences de la vie. Je ne crois pas que la réflexion ait suffisamment maturé pour déboucher aujourd'hui, hélas peut-être, sur une proposition ou un appel dans ce sens.
En effet, les appels qui ont été publiés en faveur d'un tel "Institut du Vivant", si on les lisait correctement, se réduisent à vouloir gérer les relations, difficiles au plan institutionnel, entre le CNRS sciences de la vie et l'Inserm. Il s'agit donc de ce que je combats avec vigueur depuis toujours, c'est-à-dire la confusion entre sciences du vivant et biomédical. Jean-Louis Nahon et moi nous sommes exprimés le 17 juin sur ce sujet (sur ce blog). Je crois, ainsi que je l'ai écrit sur ce site, que la justification d'un Institut du Vivant serait de coordonner l'ensemble de la Science biologique, et piloter l'aval, c'est-à-dire les applications médicales, agronomiques ou biotechnologiques de cette Science, plutôt que de se laisser conduire par elles. Pour en arriver là, il faudrait n'avoir que la SCIENCE comme étendard, et renoncer aux chapelles et aux divisions. Si j'aime cette idée, j'en mesure toute la naïveté …
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17 juin 2008 2 17 /06 /juin /2008 19:04
Après les déclarations intempestives de la Ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche dans le journal " le Monde" du 20 mai 2008 sur l'organisation du CNRS et le rôle qu'elle lui attribue dans le grand champ des sciences de la vie, on ne peut qu'être déçu par les timides - et souvent maladroites réactions de la communauté scientifique.

Il y a d'abord eu la réflexion d'anciens directeurs des sciences de la vie du CNRS en faveur de l'externalisation des problèmes du CNRS vers un institut indépendant du vivant et de la santé (*). Puis un appel lancé sur le Web sous forme de pétition pour que le vivant ait, comme les autres, son institut au sein du CNRS (**). Enfin une action conjointe des directions du CNRS et de l'Inserm qui ont publié un communiqué commun dans lequel la bonne entente que leur impose la Ministre est scellée non dans le marbre, mais dans la guimauve d'un consensus mou (***).
En effet, si le CNRS perçoit cet accord comme une victoire dans la crise qui met en cause le département des sciences du vivant (soit presque un quart de ses forces), aucun problème n'est réglé ni par une sorte de "Yalta" dans le domaine biomédical, ni par une soi-disant réflexion sur les autres aspects des sciences de la vie qui "feront l'objet de discussions ultérieures" (sic). Que de mépris dans ce renvoi aux calendes grecques de l’examen de disciplines tellement « mineures » comme la Biologie structurale, la Génomique structurale et l’Evolution, la Biologie végétale ...

Les scientifiques devraient sans doute, concernant leur avenir, manifester un même niveau de réflexion et de créativité que celui qui les maintient, quoi qu'on en dise, en bonne place dans la compétition scientifique internationale. Se lançant d'emblée dans l'appel ou l'action, ils se comportent soit comme ceux –qu'ils critiquent souvent- qui veulent les applications de la Science avant même que les bases fondamentales de leurs découvertes soient établies, soit en tentant de s'adapter au plus vite à tout ce qui leur est imposé de l'extérieur (pensons au drame du caméléon sur un tartan écossais). Dans tous les cas, ils feignent d'ignorer quelle est la guerre qu'ils sont en train de perdre.

La Ministre a annoncé qu'elle attribuait le "leadership" et la coordination des sciences de la vie à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) et le Commissariat à l'énergie atomique (CEA), c'est-à-dire à des institutions à vocation appliquée. Il s'agit donc d'un pilotage par l'aval. La réponse du CNRS est de dire "entendons-nous avec l'Inserm pour le biomédical, ainsi nous aurons un strapontin dans le pilotage de ce domaine, … C'est mieux que rien !" Ce faisant, on entretient l'illusion que le biomédical est une science à part entière et non un sous-ensemble du vivant.
Le CNRS est alors volontaire pour s'inscrire dans le prétendu continuum qui mène de la recherche fondamentale au lit du malade. Le moins que l'on puisse dire est que le continuum est discontinu. En effet, cherchons où sont les nœuds de pouvoir. À titre personnel, nous en voyons deux : le pouvoir médical puisqu'il tient le lit du malade et donc la recherche clinique, et le pouvoir de l'argent qui envisage ses investissements au plus près du lit du malade, c'est-à-dire au plus près d'un possible retour sur investissement.
Ce sont de véritables "nœuds" puisqu'ils enferment les décisions politiques et brident les scientifiques jusque dans leur réflexion. Or rien n'est inéluctable qu'on ne soit décidé à accepter. Il existe un pouvoir, un contre-pouvoir : le pouvoir de celui qui fait. La Science est faite par des scientifiques. On l'oublie, on les oublie trop souvent voire comme en ces temps troublés on les tient pour quantité négligeable. Puissent-ils ne pas s'oublier eux-mêmes, et ramener la guerre sur leur propre terrain : la guerre pour la connaissance avant la guerre pour les applications (pour les profits ?). Même les Etats-Unis, Empire du libéralisme économique, l'ont compris. Pourquoi devrions nous nous distinguer sauf à vouloir « réformer » à tous crins quitte à détruire pour le plaisir, et désespérer pour longtemps des générations de Biologistes ?

Article co-écrit par Patrick Gaudray (Directeur de Recherche au CNRS, ancien directeur scientifique adjoint du département des sciences de la vie du CNRS), et Jean-Louis Nahon (Directeur de Recherche au CNRS, ancien membre du Comité National de la Recherche Scientifique)
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17 juin 2008 2 17 /06 /juin /2008 17:24
Sous prétexte de remédier à la complexité de l'organisation de la recherche en France, le gouvernement veut en gommer l'originalité. L'originalité, c'est, par exemple, l'existence du CNRS, premier organisme de recherche français et en Europe, qui est mondialement reconnu.
Au sein de ce dernier, la Ministre dit avoir "identifié six domaines où le CNRS exerce un leadership et qu'il a vocation à coordonner sur le plan national" ("le Monde" du 20 mai 2008). Grandes absentes de la liste ministérielle : les Sciences de la Vie qui représentent presque un quart des forces vives du CNRS. Le "leadership" de ce domaine scientifique est attribué à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) et le Commissariat à l'énergie atomique (CEA).
POURQUOI ?
Il est symptomatique que la coordination d'une Science soit définie par des institutions à vocation appliquée, l'Inserm dans le domaine biomédical, l'INRA dans le domaine agronomique, et le CEA dans le domaine technologique. Il est dangereux que le pilotage des sciences de la vie en France leur soit confié. Il est toujours plus facile de faire comprendre l’intérêt d’une invention que celui d’une découverte. Ainsi, les scientifiques, et les biologistes en particulier, préfèrent souvent présenter les outils de leurs découvertes (performance technologique – « voyez, c’est merveilleux, on peut voir des objets de plus en plus petits, … »), plutôt que la démarche scientifique qui les y a amenés. Ils ont contribué à créer le lit de ce pilotage par l'aval.
Nous le paierons tous au prix fort.

Eliminer le "vivant" du CNRS au profit de trois autres acteurs du domaine ne peut certainement pas être compris comme une mesure d'intérêt publique, non plus qu'une simplification du paysage national de la recherche scientifique. On y voit bien plutôt la marque d'un règlement de comptes ou d'une mainmise sur un patrimoine scientifique de qualité qui honore le CNRS. Des recherches très fondamentales partant d'animaux aussi exotiques que l'étoile de mer ou l'oursin ont, par exemple, apporté des connaissances déterminantes sur le fonctionnement et la division de la cellule cancéreuse. Qu'en adviendra-t-il lorsque la prééminence médicale du domaine "bio", et l'intérêt (immédiat) de l'industrie pharmaceutique auront été gravés dans le marbre ?

Le CNRS est (était ?) le seul organisme en France, et sans doute dans le monde, qui ne se confine pas dans un sous-ensemble du Vivant, mais qui le prenne en charge dans toute sa dimension, y compris sa dimension interdisciplinaire. C’est sans doute là sa vraie singularité, plus encore que sa spécificité de recherche dite « fondamentale ». Ce qui se passe aujourd'hui démontre qu'il s'agit également de sa grande faiblesse.

S'il y a urgence à simplifier le paysage de la recherche française dans le domaine des sciences de la vie et éviter son morcellement actuel entre de trop nombreuses institutions (CNRS, Inserm, INRA, IRD, CEMAGREF, …), on pourrait peut-être réfléchir enfin à la mise en place d'un organisme « unique » et interdisciplinaire de recherche sur le Vivant établi sur ce principe de singularité. Il aurait sans doute sa justification, et possèderait peut-être un dynamisme que son appartenance actuelle au CNRS semble entraver. Cet "Institut du Vivant" aurait la charge de coordonner la Science biologique, et piloter l'aval, c'est-à-dire les applications médicales, agronomique ou biotechnologiques de cette Science, plutôt que de se laisser conduire par elles. Si la biologie fondamentale française veut se donner des chances de survivre à un niveau internationalement reconnu, elle se doit de renoncer à ses chapelles et ses divisions pour n'avoir qu'un étendard, celui de la SCIENCE.
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