Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
10 novembre 2008 1 10 /11 /novembre /2008 09:49
La recherche sur le génome humain a progressé de façon formidable, dans tous les sens du terme : à la fois remarquable, extraordinaire, et terrifiant. La vitesse et la facilité avec laquelle on peut désormais lire le message de ce génome, c'est-à-dire séquencer l'ADN a franchi une étape avec la publication par la revue Nature des séquences d'ADN individuelles d'un africain du Nigéria et d'un chinois Han. Nous sommes donc à la veille de pouvoir fournir à chacun la séquence de son génome personnel sous une forme électronique dont certaines compagnies privées nous proposent de faire, avec leur assistance, ce que nous voulons. Si ce que nous pouvons en faire relève fréquemment de la supercherie scientifique, ce que nous voulons en faire relève du questionnement éthique.

Il avait fallu dix ans et plusieurs milliards de dollars pour obtenir, en 2003, ce qu'on appelle communément LA séquence complète DU génome humain. Il s'agissait, en fait, d'un génome quasi virtuel, ou plutôt d'un mélange de plusieurs génomes de donneurs anonymes.

Or, les scientifiques savaient depuis longtemps déjà que le plus intéressant dans la connaissance des génomes, ce sont les différences qui existent entre les individus. C'est de cette connaissance-là que l'on sait pouvoir attendre des informations sur le fonctionnement "du" génome, sur la manière dont la génétique et l'environnement interagissent pour faire de nous ce que nous sommes, bien au-delà de notre apparence : pourquoi certains sont plus sensibles au rayonnement du soleil, à la fumée de cigarettes, aux infections, etc. …

Aujourd'hui, la revue Nature publie les séquences du génome –individuel- d'un homme de Yoruba d'Ibadan, au Nigéria et d'un Chinois Han. Aborder le génome d'humains d'ethnies différentes est un premier pas déterminant vers la connaissance de cette diversité génétique qui fait la richesse et la fragilité de l'humanité. Un deuxième pas sera l'accomplissement du séquençage de l'ADN d'un millier de personnes de toutes ethnies dans le monde entier. C'est le but que s'est fixé un consortium international en janvier 2008, afin de créer un vaste catalogue des variations génétiques humaines.

Le génome d'un être vivant, c'est en quelque sorte le grand livre dans lequel sont rassemblées presque toutes les informations nécessaires à la confection et au fonctionnement de chaque cellule de l'organisme, et de l'organisme entier. Cette information est encryptée dans un code à quatre lettres, les quatre bases (A, T, G, C) dont l'ADN est constitué. Cet ADN est présent sous forme de très longues molécules constituant les chromosomes. Dans l'espèce humaine, environ un mètre d'ADN est présent dans le noyau de chaque cellule. On y trouve environ 25 000 gènes, dont on dit souvent qu'ils caractérisent l'espèce et déterminent les particularités de chaque individu comme la couleur des cheveux, des yeux ou ses prédispositions à certaines maladies. Mais la très grande majorité de notre ADN ne code pas de gènes, et la fonction de cet ADN qu'on a qualifié tour à tour d'égoïste ou d'ADN poubelle, et qu'on a souvent beaucoup trop méprisé, reste encore très largement inconnue. D'une manière générale, on comprend encore très mal le message qui est porté par les trois milliards de lettres du grand livre de notre génome. Être capable de lire les lettres de ce livre ne signifie pas qu'on soit en mesure d'en comprendre le sens. Nous sommes encore un peu comme ces scientifiques qui observaient les hiéroglyphes égyptiens en sachant qu'il s'agissait d'une écriture, mais sans en comprendre le sens.

Avant même de comprendre le message qui est encrypté dans la séquence à quatre lettres, il a fallu établir cette séquence. À trois milliards de dollars et dix ans, c'est un peu difficile. Nous dépendons donc des formidables progrès technologiques des méthodes de séquençage qui se développent avec une rapidité toujours croissante. Pensez qu'en 2007, deux scientifiques de renom ont fait établir la séquence de leur ADN en quelques mois et pour, chacun, environ un million de dollars, soit trois mille fois moins que la première séquence. Et maintenant, les deux séquences publiées par Nature ont été établies pour un coût de moins d'un demi-million de dollars chacune. Il y a quelques semaines, les instituts nationaux américains de la santé (NIH) ont décidé d'investir vingt-cinq millions de dollars dans la technologie de séquençage de l'ADN. L'objectif est d'être capable, dès 2013, d'obtenir la séquence complète d'un génome individuel en quelques semaines pour un coût de 1000 dollars. "Connaître" son génome devrait donc devenir accessible non pas à tous, certes, mais aux moins pauvres d'entre nous.

L'ère du génome individuel est arrivée. Mais, nous sommes maintenant confrontés aux défis que représente l'utilisation de cette information.  Nous l'avons vu plus haut, il s'agit aujourd'hui plus de "lire" son génome que de le "connaître". Pour autant, la fascination qu'exercent les formidables progrès de la science et de la technologie qui, dans le cas de la génomique, sont en train d'ouvrir la voie à une médecine "prédictive", fondée sur le génome individuel, nous poussent à "brûler les étapes", et, souvent d'ignorer l'immensité des questions qui restent ouvertes. La première est la mesure dans laquelle la constitution génétique, cette "séquence", nous dit quoi que ce soit sur notre santé future. La valeur prédictive des associations qu'on peut faire entre génome et santé est très en deçà des attentes, dramatiques dans le cas de malades, en particulier ceux qui soufrent de maladies génétiques, orphelines ou pas. Elle ne parvient pas non plus à accroître significativement les facteurs plus traditionnels de prédiction de la bonne santé, tels que le mode de vie et l'histoire familiale.

Robert Nussbaum de l'Université de Californie à SanFrancisco, dit, de façon un peu abrupte que "la recherche en génétique humaine considère toujours un peu (trop) vite qu'elle doit être applicable immédiatement, alors qu'il s'agit bien de recherche fondamentale".

Avec le nombre de personnes dont le génome est – ou sera bientôt entièrement séquencé grandit le marché d'entreprises qui se sont spécialisées dans le "profilage génétique" et qui nous offrent de "repousser les frontières de la génétique médicale". Un nombre croissant de sociétés privées capitalisent sur les informations génétiques personnelles et vendent dès à présent des prévisions sur la santé individuelle à partir d'informations incomplètes telles qu'elles sont disponibles. De plus en plus de services sont proposés, notamment sur Internet, pour "aider" les gens à donner un sens à ces données. Plus qu'une révolution génétique, il s'agit bien d'une rupture sociologique, celle de la confrontation de l'homme, des hommes, avec des informations qui ont à voir avec leur avenir personnel. Que peut-on en faire sur le plan de la santé publique, des sciences sociales et des applications biomédicales potentielles ?
Plutôt que nous aider à nous poser la question de savoir comment nous pouvons utiliser l'immensité des informations déjà disponibles, ces sociétés nous entretiennent dans l'illusion que ces informations nous sont dès à présent utiles pour connaître notre destinée. Or, que puis-je faire si la séquence de mon ADN montre que, vraisemblablement, je serai atteint de la maladie d'Alzheimer dans quelques années, si je n'ai aucun moyen d'empêcher sa survenue. Il est symptomatique que James D. Watson, dont le génome a été séquencé l'an dernier, a exigé que l'on n'interprète pas la séquence d'un gène potentiellement impliqué dans cette terrible maladie. Pis encore, et c'est le cas aujourd'hui, que puis-je penser si l'on me dit que j'ai 32,5 % de "chances" d'être atteint de cette maladie ? Surtout si la lecture de mon ADN fait croire que j'ai également 12,7 % de chances de mourir d'un accident vasculaire cérébral avant de développer mon Alzheimer ???

Afin d'avoir un rôle positif pour comprendre les fondements génétiques des maladies, les séquences d'ADN personnelles devront pouvoir être stockées avec les antécédents médicaux, personnels et familiaux, ainsi que des informations sur l'environnements dans lequel l'individu et né, s'est développé et est devenu adulte. Suis-je prêt, pour savoir tout cela, à accepter que "ma" séquence d'ADN alimente une banque de données dont l'accès sécurisé a peu de chances d'être plus sûr que celui des ordinateurs du Pentagone dans lesquels un adolescent de quinze ans a pu entrer sans plus de difficultés que cela ? Au-delà de simples considérations de sécurité informatique, c'est bien de vie privée qu'il s'agit, et de ce qui peut en être fait. Et lorsqu'on aborde le patrimoine génétique arrive la lancinante question de la propriété : puisque j'ai hérité ce patrimoine de mes parents, vivants ou non, et que je l'ai transmis à mes enfants, possèdé-je l'information qu'il contient et puis-je en faire ce que bon me semble ?

Ainsi que l'écrivait un éditorialiste de la revue Nature, "nous ne pouvons pas prévoir tout ce qui va se produire demain, mais nous pouvons nous y préparer".

Mon génome "personnel". Et alors ? …
Partager cet article
Repost0

commentaires