Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
30 mai 2012 3 30 /05 /mai /2012 18:00

DNA_Brevets.jpgJ’ai souvent eu, dans ce blog, l’occasion de manifester un certain septicisme à l’encontre de la technoscience et, je l’avoue, une certaine peur face à la fuite en avant technologique qui fait aujourd’hui plus que nous guetter.

Du coup, je me suis fait abondamment critiquer par les pourfendeurs patentés de l’obscurantisme, par ceux qui s’autoproclament gardiens d’une vision positive de l’avenir et qui n’acceptent pas qu’il puisse y avoir de progrès qui ne soit pas fondé sur la technologie. En un mot, je me suis fait traiter de « bioconservateur ».


A défaut de débat, il y a donc une confrontation entre bioprogressistes et bioconservateurs (les pros et… les autres).

S’il est vrai qu’on est bioconservateur si l'on n'accepte pas le principe de l’amélioration systématique de la condition biologique de l’être humain, et l'autre si l'on se met sous la dépendance d'une avancée régulière et inexorable de la "révolution" biotechnologique, je me sens, il est vrai, très bioconservateur car je n'accepte pas le caractère inexorable de ce que les bioprogressistes qualifient de progrès technologique.

Inexorable ? Ainsi que le disait Benjamin Franklin au XVIIIème siècle, «In this world nothing can be said to be certain, except death and taxes !» (on ne saurait rien tenir pour certain dans ce monde, hormis la mort et les impôts !). La philosophe Bernadette Bensaude-Vincent, quant à elle, se demande pourquoi le progrès devrait être considéré comme un destin, sur lequel le politique n’aurait donc pas de prise.

Dans quel clan - bioprogressiste ou conservateur- sommes-nous ? Interrogeons-nous tout d'abord pour savoir si c'est exclusivement au niveau de l'amélioration biologique de l'être humain que doit se situer le progrès dont on voudrait qu'il soit question. Certains prétendent, et j'en suis, que les priorités sont plus à placer dans l'accès de tous à la nourriture et l'eau potable, deux biens indispensables dont plus d'un milliard d'humains sont privés sur terre. Même dans nos pays privilégiés, le "meilleur de l'humanité" me semble relever plus de la justice sociale et économique que du transhumanisme, ou même de la médecine. C'est le sens du message tiré de l'étude de Michael Marmot, intitulée "Fair society, healthy lives", sur les inégalités de santé et l'évaluation des déterminants sociaux de la santé en Angleterre, étude que j’ai déjà eu l’occasion de citer dans ces pages.

Sommes nous contraints à accepter cette dichotomie entre conservateurs et progressistes, qu’il soient bio ou pas ? Je ne le pense pas, non qu’un qualificatif ou un autre me gène, personnellement. Non, ce qui me gène, c’est qu’on catalogue ainsi les personnes, que l’on réduise leur pensée à un cadre, une étiquette, qu’on nous formate pour entrer dans une « petite boite »[1]. Certes, ne pas accepter de se faire mettre une étiquette, c’est risquer de se faire classer dans les "divers" et les "bizarres"[2].

J’assume…



[1] Chanson de Graeme Allwright après Malvina Reynolds dans les années 60.

[2] Chanson d’Yves Duteil : « Les P'tites Casquettes »

Partager cet article
Repost0
30 avril 2012 1 30 /04 /avril /2012 10:00

 

Erwin Chargaff, grand biochimiste, a dit "Si des oratorios pouvaient tuer, le Pentagone aurait depuis longtemps soutenu la recherche musicale". Il serait donc commun, dans les vrais cercles de pouvoir, de justifier les moyens par la fin.

Il est non moins commun d'éviter le questionnement éthique lorsque des enjeux plus importants (?!), tels qu'économiques et financiers, sont concernés. Il est enfin plus "facile" d'isoler des objectifs techniquement réalisables que de les mettre en perspective et de considérer en quoi et comment ils affectent globalement notre futur, immédiat ou à long terme.


Certes, on n'en est plus au "Manhattan project", ni même à la guerre des étoiles. On a, espérons nous (?), dépassé l'eugénisme triomphant des "démocraties" occidentales du début du vingtième siècle. Mais on est aujourd'hui dans "le monde selon Monsanto"[1], dans la séquence de l'ADN à la portée de tous (ou presque…), dans "la mort de la mort"[2].


Mais attention, comme les trains, une technologie peut en cacher une autre.


C'est un peu ce que la mythologie grecque a tenté de nous enseigner au travers de l'histoire du technologue absolu, j'ai nommé Dédale. Pas plus que ceux à qui il sert de modèle aujourd'hui, il ne semble s'être posé des questions de sens, il ne s'est interrogé sur la charge éthique de ses actions. Pour prendre la dimension du vertige technologique auquel il reste attaché, et qui a été souligné par beaucoup d'autres avant moi, que ce soit pour le louer ou pour le condamner, il suffit de résumer son histoire en quelques lignes.


Pardon d'avance aux scientifiques et technologues qui pourraient se reconnaître dans les lignes qui suivent. Il s'agit d'une fiction, et toute ressemblance avec …


Dédale Casa dei VettiiDédale, un excellent ingénieur, avait pris son neveu Talos comme apprenti. Hélas pour ce dernier, l'élève a su dépasser le maître, et ses inventions (on lui attribue la scie, le compas et le tour de potier) rendirent Dédale jaloux. Au point de se faire précipiter par Tonton du haut de l'Acro pole.

Après le meurtre de son neveu, Dédale trouva refuge en Crète à la cour du roi Minos. Pasiphaé la reine femme de Minos, à la suite d'une sombre histoire entre hommes et dieux, fut rendue amoureuse du taureau blanc avec lequel elle eut un désir d'enfant. Elle demanda donc à Dédale d'imaginer un stratagème pour qu'elle puisse s'accoupler avec le taureau...  L'AMP était née !


 Dédale, toujours à l'affût de solutions techniques pour résoudre n'importe quel type de problème, va donc créer un leurre, une ravissante génisse en bois recouverte de peau dans laquelle Pasiphaé s'installe pour s'accoupler avec le taureau. De cette liaison contre nature naîtra le Minotaure, hybride monstrueux. Son corps était celui d’un homme et sa tête celle d’un taureau. Mino s fut bien sûr furieux de voir sa femme accoucher de cette créature, mais il ne pouvait souhaiter sa mort (encore pour des histoires entre les hommes et les dieux). Il demanda donc à son technologue favori d'imaginer une solution au problème. Dédale construira ainsi le labyrinthe dans lequel on enfermera à jamais le Minotaure. Quiconque y pénétrait ne pouvait en sortir.

 

ILabyrinthel suffisait juste d'alimenter l'appétit du monstre en lui livrant quelques jeunes femmes et hommes à manger. C'est ainsi que, vainqueur d'Athènes, Minos exigea de la ville dont Thésée était le roi qu'elle envoie sept jeunes gens et sept jeunes filles pour nourrir le Minotaure. Thésée, voulant arrêter ce carnage se rendit en Crète afin de tuer le monstre. Mais comment ressortir vivant du labyrinthe ? C'est le défi auquel Minos soumit Thésée.


C'est encore Dédale, sollicité par la princesse Ariane, fille de Minos, tombée amoureuse de Thésée, qui va trouver la solution technique : dérouler un fil de laine pour lui permettre de retrouver la sortie. Le fil d'Ariane… Ainsi, Thésée se rendit dans le labyrinthe, tua le Minotaure, ressortit sauf du labyrinthe et se sauva en mer pour retourner chez lui, à Athènes, et sans Ariane.

Minos ayant perdu son pari avec Thésée et furieux de l'affront fait à sa fille, chercha un coupable et fit enfermer Dédale et son fils Icare dans le labyrinthe. Ne pouvant en sortir sans le fameux fil pour le guider, Dédale dut, une fois encore imaginer une solution, technique toujours. Il confectionna des ailes avec de la cire et des plumes afin de quitter le labyrinthe par la voie des airs. On connaît l'histoire d'Icare qui, désirant se rapprocher du soleil, oublia le conseil de son père de ne pas monter trop haut dans le ciel. La cire des ailes fondit, et Icare fut précipité dans la mer.

Dédale trouva refuge en Sicile auprès du roi Cocalos. Rendu furieux par cette fuite, Minos décida de retrouver Dédale. Pour y parvenir il utilisa la ruse. Il eut l'idée de lancer un défi que seul un homme comme Dédale pouvait réussir, et auquel il ne saurait résister (il suffit souvent de flatter l'ego des technoscientifiques pour en obtenir ce qu'on veut,… Encore aujourd'hui, non ?). Il promit une forte récompense à celui qui réussirait à faire parvenir un fil au bout de l'orifice d'une coquille d'escargot. Pour relever le défi, Dédale eut l'idée d'accrocher le fil à la patte d'une fourmi qui se faufila ensuite au fond de la coquille.

Sachant que quelqu'un avait réussi le défi en Sicile, Minos sut qu'il s'agissait de Dédale, et donc où le trouver.


Il y a plusieurs fins à cette histoire, ou plutôt, il n'y en a pas puisqu'elle se poursuit encore aujourd'hui…



[1] Robin, M.-M., (2008), Le monde selon Monsanto. De la dioxine aux OGM, une multinationale  qui  vous veut du bien, La Découverte - Arte Editions, Paris.

[2]  Alexandre L., (2011), La mort de la mort, Editions JC Lattès.

Partager cet article
Repost0
1 mars 2012 4 01 /03 /mars /2012 18:00

Les Temps modernesJe viens de participer à un débat sur la question : "faut-il condamner le transhumanisme ?" sur le site Newsring.fr. En lisant les différentes contributions à ce débat, j'ai retiré deux impressions majeures.


La première est que, comme je l'ai écrit, nous sommes dans le monde des Bisounours. On nous dit que tout va bien, tout est fait et pensé pour le meilleur de l'humanité, et pour le bien de tous les hommes : le transhumanisme ne vise pas au dépassement mais à "l'approfondissement de la dimension humaine" accessible à tous, et "pas seulement à ceux qui ont la chance de vivre dans une société opulente"[1]. L'accès à tous me semble relever de la perspective à très, très long terme, dans un monde où plus d'un milliard de personnes sont confrontés au manque de nourriture et d'eau, un monde dans lequel des enfants meurent encore de la rougeole. Le "meilleur de l'humanité" me semble relever plus de la justice sociale et économique que du transhumanisme, ou même de la médecine[2].

 

La seconde est que toute cette révolution technoscientifique qu'on nous promet est inéluctable, et qu'il est donc vain de s'y opposer (c'est notamment ce que j'ai compris de la position de Laurent Alexandre dans son libre "la mort de la mort"). Les mêmes qui défendent ceci prônent le débat démocratique : mais quel débat si cette évolution est inexorable ? Jean-Michel Besnier, philosophe qui participait également au débat sur Newsring, souligne la peur, légitime semble-t-il, que cette technoscience transforme fondamentalement ce que nous sommes, sans nous avoir donné la possibilité et les moyens d'exprimer si "nous aimons ou pas l'humanité telle que nous la connaissons". Personnellement, je perçois le transhumanisme comme un mouvement qui conceptualise ce mouvement de transformation pour nous faire croire et peut-être admettre qu'il est inéluctable.


Parallèlement, on enferme les sceptiques du transhumanisme dans le clan des "bioconservateurs", une forme de querelle des anciens et des modernes généralisée dans laquelle ceux, auxquels j'appartient, qui ne sont pas séduits par le transhumanisme sont catalogués de freins à la science !? Une fois de plus, on nous enferme dans un amalgame entre science et technique, et, ainsi que le dit Henri Atlan, "la technique va plus vite que la science".

Günther Anders, qui a envisagé, et dénoncé la transformation radicale de l'homme à partir de normes imposées par la technique, disait, certes sur un autre sujet que le transhumanisme : "Par le biais de notre technologie, nous nous sommes nous-mêmes placés dans une situation dans laquelle nous ne pouvons plus concevoir (vorstellen)ce que nous pouvons produire (herstellen) et faire (anstellen). Que signifie donc ce décalage entre conception et production ? Cela signifie que, dans une acception nouvelle et terrible, nous ne savons plus ce que nous faisons, que nous avons atteint la limite de toute responsabilité."


Doit-on placer la performance maximale de l’individu au rang de valeur suprême, de norme de fonctionnement sociétal ? Et ces normes de "qualité" sur lesquelles les transhumanistes et autres technologues se vantent de pouvoir se fonder pour "améliorer" l'espèce humaine, qui les fixe ?

 



[1] http://transhumanistes.com/presentation.php

[2] Lire, à ce sujet, le rapport de Michael Marmot, intitulé "Fair society, healthy lives", sur : Social Determinants of Health (CSDH), the Strategic Review of Health Inequalities in England post 2010 (Marmot Review)

Partager cet article
Repost0
10 février 2012 5 10 /02 /février /2012 17:00
orage.36922.jpg

Pour ceux qui s'intéressent aux débats sur les organismes et plantes génétiquement modifiés (OGM et PGM), l'actualité récente a mis au premier plan la difficulté des humains à coexister avec ceux d'ente eux qui ne partagent pas leur avis. C'est bien de coexistence qu'il s'agit puisque le point de crispation est la recommandation et le rapport sur les conditions d'une "coexistence pérenne" entre plantes transgénique et non transgéniques, publiés par le Comité Economique, Ethique et Social (CEES) du Haut conseil des biotechnologies (HCB).

 

Le résultat provisoire de ce qui apparaît comme une absence ou un défaut de dialogue est la démission de cinq membres dudit CEES (CFDT, FNSEA, ANIA, GNIS, Jeunes Agriculteurs). En cause, ce que les démissionnaires qualifient de dysfonctionnement du CEES. Il s'agit en fait de l'existence, en son sein, de deux visions radicalement divergentes de la coexistence entre OGM et plantes non génétiquement modifiées. C'est-à-dire l'impossibilité d'en arriver à un consensus ou à un " compromis équilibré" entre ces deux "visions" inconciliables.


Mon propos n'est certainement pas de prendre parti dans ce débat, mais plutôt d'en constater l'absence (de débat). Cette actualité nous rappelle un certain nombre de faits saillants qui donnent sans doute raison à Winston Churchill lorsqu'il affirmait que la démocratie est le plus mauvais mode de gouvernement, à l'exception de tous les autres.

La recherche du "consensus", en tant qu'accord parfait, relève de l'idéal s'il ne glisse pas, comme c'est trop souvent le cas, vers l'opinion majoritaire.

Mais elle est une illusion lorsqu'elle prétend concilier l'inconciliable, gommer des divergences fondamentales.

Mais elle est coupable lorsque, pour arriver à son but, elle devient recherche du compromis (sans évoquer les compromissions).

Mais elle est insupportable lorsqu'il s'agit d'éthique (un des "E" de CEES). Et je voudrais m'attarder un peu sur ce point.

Il n'y a pas de vérité éthique, encore moins que de vérité scientifique immuable (concept hautement labile et instable). Les choix que nous faisons dans ce domaine sont très personnels ; on suppose qu'ils sont faits librement et illustrent ainsi notre légitime revendication à l'autonomie. Ces choix ont donc toutes les chances de s'affronter, et l'on est bien contraint de prendre en compte nos divergences. Il y a déjà une vraie dimension éthique dans la reconnaissance de nos divergences, dans leur constat et les tentatives de les comprendre. Il y a une dimension éthique non moins importante dans l'attention et l'écoute de l'autre qui nous permet d'y arriver.


Alors, foin du consensus…


Je n'ai peut-être rien compris à la démocratie, mais j'ai le sentiment (naïf sans aucun doute) que sa richesse vient de la pluralité des opinions qui peuvent s'y manifester. Alors si mon opinion (qui est, tiens donc, généralement minoritaire) est de façon permanente mise sous le boisseau des grands courants majoritaires, politiquement corrects et qui donc s'expriment plus fort que les autres, je ne peux pas participer à la démocratie. Plus grave encore, je ne peux pas participer au débat éthique !


L'éthique a pour moi cette qualité première qu'elle ne peut, en aucun cas, être une affaire de spécialistes. Elle appartient à tous et n'existe que dans le questionnement, jamais dans l'a priori. Si ce que je pense m'importe, ce n'est pas très important. Ce qui l'est, c'est ce que nous pensons, c'est à la fois la manière et jusqu'où nous pouvons faire converger nos positions personnelles apparemment inconciliables. L'éthique n'existe donc que dans la confrontation (pacifique, si possible) entre tous les "je" qui pensent, dans le dialogue, dans le débat.


J'ai eu la chance de participer récemment à deux débats éthiques qui montrent que cela est possible, plus encore, que cela est réalisable (si j'en crois, au moins, l'importante participation du public).

 

Il y eut tout d'abord les Journées annuelles d'éthique les 20 et 21 janvier à la Maison de la Chimie. Le Comité Consultatif National d'Ethique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) nous posait la question : Qui est "normal" ?

Norme, normativité, mais aussi normalité, des questionnements abordés par des philosophes, des sociologues, des juristes, des scientifiques,… au cours de trois demi-journées, en particulier devant la question du cerveau, déterminant de la normalité ? ou de nouvelles normalités, … Demain.

Une mention particulière pour une après-midi consacrée aux exposés de groupes de réflexion éthiques de lycéens qui nous ont prouvé, comme chaque année, que la sensibilité et la profondeur de la réflexion éthique est fort bien partagée, y compris par les plus jeunes.

JAE2012.jpg 

 

  FEB2012.jpg

 

Puis, le Forum Européen de bioéthique à Strasbourg du 31 janvier au 4 février, sur le thème de la famille en chantier, un thème décliné en une vingtaine de tables rondes où le public était l'acteur principal :

-    Rends-moi mère ou j'en mourrai

-    Trisomie 21

-    Dépistage anténatal

-    Embryon, fœtus : les sujets de la discorde

-    J'adopte un enfant

-    La famille en chantier

-    Gamètes, embryons congelés : un stock encombrant

-    La France est-elle un pays eugénique ?

-    Mort avant de naître

-    Trier les embryons avant de les réimplanter

-    Qu'est-ce que le désir d'enfant ?

-    De qui suis-je né ?

-    Contraception : modifie-t-elle la famille ?

-    Cellules souches embryonnaires : statu quo et polémiques

-    Aide médicale à la procréation : sans limites ?

-    Gestation pour autrui : dur, dur de décider…

-    Les nouvelles règles du nous

-    La génétique peut-elle piloter nos vies ?

-    Filiation : de chair et de sentiments

-    Droit à l'enfant, droits de l'enfant

-    Clonage reproductif : crime contre l'espèce humaine ?

 

 

Partager cet article
Repost0
9 février 2012 4 09 /02 /février /2012 23:30

 

Mains.jpg 

 

La Déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de l’homme, adoptée par la Conférence générale de l’UNESCO en octobre 2005, mentionne, après un article relatif au "respect de la diversité culturelle et du pluralisme", et avant celui traitant de "responsabilité sociale et santé", que "la solidarité entre les êtres humains ainsi que la coopération internationale à cette fin doivent être encouragées". Elle ajoute que "les États devraient respecter et promouvoir la solidarité entre eux ainsi qu’avec et entre les individus, les familles, les groupes et communautés".


Le Nuffield Council on Bioethics a commandité un rapport sur la solidarité intitulé :  Solidarity: reflections on an emerging concept in bioethics, qui a été rendu public le 1er décembre 2011. Ce rapport définit "la solidarité comme la volonté des gens à aider les autres même si cela entraîne des « coûts »pour eux, comme le temps, l'investissement émotionnel et, dans certains cas, de l'argent. La solidarité peut avoir lieu entre deux individus, mais elle peut aussi être une pratique plus largement partagée de la société".

Le fait de définir la solidarité comme une volonté supposément individuelle au titre de la valorisation de l'autonomie, conduit certains à refuser de l'appliquer aux maladies soi-disant liées au «style de vie», telles que l'obésité, le diabète de type II ou certains types de cancer. Le droit d'accès aux services de santé financés par la solidarité nationale devrait ainsi être réservé aux personnes qui œuvrent à vivre une vie saine, excluant celles supposées être en défaut de solidarité par rapport à elles. Si la solidarité ne peut être réduite à une volonté individuelle, elle ne peut pas totalement lui échapper, et donc se résumer à un devoir. Le devoir de solidarité est une démarche morale personnelle. Même lorsqu'il est organisé de façon un peu rigide par la société, il résulte d'une acceptation, d'un vote au sein des sociétés démocratiques.

Plus qu'une volonté, la solidarité peut être perçue comme résultant d'un lien social a priori. Solidarité a la même étymologie que "solide" et "seul". On y trouve donc à la fois la notion d'entièreté, de tout, de cohésion et de force résultante (l'entrait de la charpente, pour prendre une image concrète). Si elle résulte d'un lien créé/accepté au titre d'une obligation solidaire, elle recouvre la notion d'interdépendance, de dépendance mutuelle entre personnes ayant ou ressentant le besoin qu'ils ont les uns des autres. En cela, la solidarité se distingue de la générosité qui n'implique aucun lien a priori et qui participe d'une démarche individuelle.


La reconnaissance d'une dépendance, d'une interdépendance entre personnes n'oppose pas, ne doit pas opposer formellement solidarité et liberté, sauf à faire de cette dernière un absolu fondé strictement sur un choix individuel, ou à n'envisager la dépendance qu'en tant que condition pathologique…

Partager cet article
Repost0
18 janvier 2012 3 18 /01 /janvier /2012 22:10

VirusGrippe creditPhoto EFPIA Photo libre de droitLa responsabilité de la science devant la société, et particulièrement celle des sciences du vivant et de la santé, représente un enjeu éthique majeur en ce qu'elle affecte profondément notre environnement, et notre vie elle-même. François Jacob écrivait en 1997, dans la souris, la mouche et l'homme : "Nous sommes un redoutable mélange d'acides nucléiques et de souvenirs, de désirs et de protéines. Le siècle qui se termine (le 20ème) s'est beaucoup occupé d'acides nucléiques et de protéines. Le suivant (le nôtre) va se concentrer sur les souvenirs et les désirs. Saura-t-il résoudre de telles questions ?". On peut, sans doute, que la "biologisation" et la "généticisation" sans précédent du discours social nous entraine plus vers la techno-biologie que vers les désirs, les souvenirs et les rêves.


Les principes fondateurs du progrès technique, tels qu'ils ont été posés, par exemple, par Francis Bacon au 17ème siècle[1], sont d'un ordre libérateur : libérer l'homme de la maladie, de la faim, de la misère. Mais ils laissent aujourd'hui place à une aliénation, une emprise démesurée de la technique sur la vie même de l'homme, jusqu'à lui faire ressentir une forme d'infériorité vis à vis de la soi-disant perfection de la chose fabriquée. Ce que Günther Anders qualifie, je crois, de honte prométhéenne. Cette aliénation est définie par Hannah Arendt comme un pur rapport utilitaire, fonctionnel, soustrait au questionnement de sens, aux raisons de vivre, au souci du monde et d’autrui. Cela se résume à cette règle d’or : tout ce qui est réalisable doit être fait. Au point que l’être humain devient lui-même une « chose » manipulable.

Il est un fait établi que les applications de la science font peur. Elles font peur et elles fascinent… Et, paradoxalement, leur déclinaison technologique rassure autant qu'elle inquiète. Il y a, en effet, un côté "rassurant" dans un acte médical technique. On a l'impression que la technique possède ce je ne sais quoi d'objectif qui nous mettrait à l'abri de l'erreur humaine ! Elle inquiète, mais donne à certains l'espoir, l'appétence de la réalisation de fantasmes ancestraux, comme celui de l’enfant parfait, voire de la soi-disant amélioration de l’espèce humaine. Ils voudraient, en effet, utiliser ce que d’aucuns appellent l’alphabet génétique pour "réécrire le monde (…), quitte à transgresser toutes les frontières pour multiplier les nouvelles formes de vivant, voire à disloquer les limites entre le vivant et l’inerte, comme l’annoncent déjà les chantres du cyborg.", ainsi que l’écrivait Louise Vandelac en 2001 dans Menace sur l’espèce humaine... ou démocratiser le génie génétique.

C'est dans ce cadre que la société a besoin de refonder ses liens avec le monde de l’innovation. Ceci dépend grandement de l’état du dialogue entre scientifiques et non-scientifiques. Pour que les questions scientifiques et médicales concourent à l'élaboration de choix sociétaux conduisant des progrès pour l'homme, il est nécessaire de donner à tout citoyen une information plurielle et critique sur ces questions.

La biologie de synthèse représente un aspect très novateur et dynamique de la biologie moderne, à l’interface entre science et technologie. Elle vise à concevoir et construire de nouvelles entités biologiques ou remodeler les formes de vie existantes. Certains y voient le dessein de faire de la biologie une science de l'ingénieur qui prétend à la compréhension fondamentale de la biologie en la construisant plutôt qu'en l'observant.

La biologie de synthèse se situe au cœur des biotechnologies, dont il faut rappeler qu'elles ont été définies non par des scientifiques, mais par  l'OCDE. Elles sont ainsi "l'application des principes scientifiques et de l'ingénierie à la transformation de matériaux par des agents biologiques pour produire des biens et des services", rappelant ainsi que les bases conceptuelles des technosciences sont purement utilitaires, fonctionnelles, voire mercantiles, et qu'elles apparaissent biaiser la notion de progrès en la découplant des questionnements de sens, en la déshumanisant.

La biologie de synthèse est donc dès à présent l’objet de nombreuses convoitises et d’attentions particulières dans le cadre des stratégies nationales et internationales de recherche scientifique et technique, d’innovation et donc de gouvernement. Le président des Etats-Unis n’en n’a-t-il pas fait une priorité de réflexion de sa Commission de bioéthique ? Et la Commission Européenne n'est pas en reste puisqu'elle a fait travailler ce même sujet par son groupe de réflexion éthique, l'EGE. La biologie de synthèse est un champ nouveau qui attise discussions et controverses tant sur les possibilités réelles qu’elle ouvre que sur ses implications dans la réémergence de questionnements sociétaux, économiques et surtout éthiques qui, certes, ne sont pas nouveaux, mais se posent de manières inédites.

D’un point de vue scientifique, les sujets premiers de la biologie de synthèse ne concernent pas directement l’humain. Mais on peut penser qu'elle aura des répercussions majeures sur la vie humaine et le futur de nos sociétés.

Il est quelque peu paradoxal qu'à l'heure où le développement de la biologie des systèmes tente de rompre avec le réductionnisme moléculaire, et veut nous faire aborder la complexité biologique, la biologie de synthèse pourrait paraitre nous ramener à un déterminisme du tout génétique. Sous cette coupe déterministe, la liberté de nos choix de vie serait à la fois bridée et soumise à des normes définies par les "généticiens" de sociétés telles que 23&Me ou "Gattaca".

Et il ne faut pas oublier que nous sommes beaucoup plus sous l'emprise du tout-économique que sous celle du tout-génétique

Grande est la tentation, au nom de ces normes, de modifier, d’altérer un patrimoine génétique désacralisé. Désacralisé, car on ne peut pas toucher ce qui est sacré sans le souiller, car on ne peut pas intervenir sur le génome, humain en particulier, pour une quelconque manipulation génétique sans en avoir ôté le tabou. Ceux qui voient le génome comme sacré et intouchable, professent souvent que l’identité, et surtout l’humanité d’un individu ne se résume pas à sa génétique. Ceux pour qui le génome est tout et fait tout, sont aussi ceux qui sont prêts à le modifier dans l’espoir de confectionner du vivant, et pourquoi pas un surhomme… En effet, au-delà de ce qui est scientifiquement raisonnable aujourd’hui, la biologie de synthèse va jusqu’à proposer « l’homme dit augmenté ».

Certains envisagent l'hypothèse terrifiante selon laquelle la convergence des NBIC, acronyme désignant l'association des nanotechnologies, des biotechnologies, de l'informatique et des sciences cognitives, et les progrès des sciences biologiques en général, viendraient transformer si profondément la nature humaine qu'on ne pourrait plus vraiment parler d'humanité. On arriverait ainsi à ce fameux transhumanisme ou posthumanisme qui prône l'usage des sciences et des technologies pour développer les capacités physiques et mentales des êtres humains, et pour dépasser certains aspects de la condition humaine, comme la souffrance, la maladie, la vieillesse, la mort...

Le dopage a dépassé les limites de la chimie, et même celles de "l'homme qui valait trois milliards". Il prétend s'installer dans notre intimité génétique et biologique.

La biologie de synthèse nous amène également à une nouvelle conception du vivant. Celui-ci est perçu comme un assemblage de briques élémentaires dont le tout ne serait pas forcément plus que la somme des parties. On serait ainsi loin de l'idée que la complexité biologique et la dimension stochastique de l’expression de nos gènes nous éloigneraient d’un prétendu pouvoir de prédiction et de maitrise. On est dans le bricolage dans lequel s'essaient des apprentis bio ingénieurs, ou les bio hackers qui participent chaque année à un concours de confection de la cellule vivante la plus originale ou la plus "amusante"[2].

Répondant peut-être à une injonction du dieu de la Genèse, l'homme a cherché à modifier le vivant pour l'asservir. L'agriculture, l'élevage, la sélection des espèces, la lutte contre les maladies ont de tout temps participé à cette entreprise. Avec la biologie de synthèse, le dessein se précise. Elle abat le mur entre l'inanimé et le vivant. La vie peine à échapper à la biologie. L'individu et ses performances arrivent au centre, parce que le désir d'une vie longue remplace celui d'une vie bonne, parce que le matérialisme du corps parfait substitue l'individualisme au principe éthique d'autonomie, au risque de créer une rupture entre l'âme et le corps, comme l'évoquent Roger-Pol Droit et Monique Atlan dans leur très récent ouvrage[3].

 


[1] Francis Bacon qui, dans la Nouvelle Atlantide en 1627, défend un progrès sans limites au sein d'une cité parfaite dévolue aux sciences et aux technologies. Il s'agit, écrit-il, de "reculer les frontières de l'empire de l'homme sur les choses, en vue de réaliser toutes les choses possibles". Le même Francis Bacon affirme, dans un autre ouvrage, que les techniques nous donneront : "une jeunesse presque éternelle, la guérison de maladies réputées incurables, l'amélioration des capacités cérébrales, la fabrication de nouvelles espèces animales et la production de nouveaux aliments, ...".

[2] Concours iGEM (International Genetically Engineered Machine compétition)

[3] "Humain : Une enquête philosophique sur ces révolutions qui changent nos vies". Monique Atlan et Roger-Pol Droit. Flammarion (18 janvier 2012). Collection : ESSAIS

Partager cet article
Repost0
10 octobre 2011 1 10 /10 /octobre /2011 09:36

 

DVDnano.jpgOn entend aujourd’hui beaucoup parler NANO, nanosciences, nanotechnologies, nano-objets. Des débats publics récents ont déchainé des passions, et, il faut l‘avouer, beaucoup de confusion.

Nous avons naturellement beaucoup de mal à nous situer dans les échelles extrêmes, qu’il s’agissent de l’infiniment grand (les « années lumières » !) ou l’infiniment petit, même lorsqu’il se limite au nanomètre. Du point de vue de la taille, le nanomètre est au ballon de football ce que le ballon de football est au globe terrestre. Difficile à imaginer, non ?

Les nano-objets sont définis comme possédante des tailles comprises entre 1 et 100 nanomètres. Les nanosciences étudient les propriétés de ces objets qu’elles contribuent à créer. Les nanotechnologies imaginent les manières de les utiliser dans notre vie de tous les jours et d’en faire un objet de puissance économique dont les enjeux financiers sont considérables.

Les nano-objet ont déjà commencé d’envahir notre environnement : cosmétiques, peintures, enduits, vernis, carburants, films, électronique, informatique, … Si les nanotubes de carbone et les matériaux composites sont d’invention et d’application récente, il ne faut pas oublier que des assemblages moléculaires de taille nanométrique ont toujours été présents, et qu’ils constituent même les briques biochimiques de base à tout édifice vivant (protéines, acides nucléiques, lipides, …). D’ailleurs, c’est peut-être une des clefs de potentiels risques particuliers des nanoparticules d’être de taille comparable aux macromolécules dont les propriétés sont caractéristiques du fonctionnement des êtres vivants, et donc de pouvoir interférer avec ce fonctionnement (capacité à passer les barrières biologiques, par exemple). De là à penser à une transformation du vivant par les nanotechnologies, il n’y a qu’un pas très vite franchi par les « transhumanistes » (technologies NBIC :Neuro/Bio/Info/Computing). Pour autant, la miniaturisation de dispositifs de repérage, fichage et identification (notamment les dispositifs RFID : Radio Frequency Identification), permise par l’accès à l’échelle nanométrique nous interpelle sur la question du respect de la liberté individuelle, de NOTRE liberté et de notre PERSONNE.

Face à ces enjeux majeurs, il faut reconnaître que les initiatives déontologiques qui visent à donner aux scientifiques et autres technologistes des codes de conduite manquent cruellement d’envergure. La déontologie ne saurait, en effet, être la réponse ultime aux questionnement éthiques, contrairement à ce que prônent technocrates et politiciens qui apprécient le confort de ne pas avoir à (se) remettre en question et se cachant derrière un paravent réglementaire. Observons, par exemple, que le mot éthique n'existe pas dans le rapport de conjoncture 2004 du Comité national de la recherche scientifique sur nanosciences et nanotechnologies. Pas plus que dans le rapport 2010 !


Du 20 au 22 octobre 2011 se tiendra à Varsovie un colloque Européen intitulé « Nanoethics ». Espérons que sous son titre « accrocheur », ce colloque saura dépasser les limites du code Européen sur les nanotechnologies (code of conduct for responsible nanosciences and nanotechnologies research, 7 février 2008) pour poser les termes d’un vrai questionnement éthique sur cet important sujet de société.


Voici traduit le résumé de la communication que je ferai à ce colloque :

Les nanotechnologies constituent un champ multidisciplinaire, en grande partie orienté vers une finalité technologique, qui constitue aujourd’hui un enjeu réel pour la société. Le code de conduite de la Communauté européenne pour des nanosciences et la recherche dite responsable en matière de nanotechnologies est une tentative pour dépasser le manque de connaissance des impacts environnementaux et de santé des nano-objets. Il fait appel au « principe de précaution » afin de protéger les chercheurs, les professionnels, les consommateurs, et les citoyens aussi bien que l'environnement. Il devrait être une tentative pour identifier les questionnements éthiques liés aux changements induits par le passage à une échelle « nanoscopique ». Ses priorités principales rejoignent nombre d’inquiétudes manifestées par plusieurs corps législatifs et éthiques français.

La loi du 3 août 2009 relative à la mise en place du « Grenelle de l'environnement » indique que l'Etat s’est donné pour objectif que tout ce qui a trait à la fabrication, l’importation et la vente de composés nanométriques des substances ou des moyens prévus pour les éliminer devrait être matière à l'information du public et des consommateurs. La communication d'information scientifique et médicale est une question récurrente dès qu’on aborde le questionnement éthique, et a constitué le thème d'un avis (N°109) du CCNE.

Le manque d'information claire et honnête a été pointé du doigt comme soucis principal lors du débat public qui a en partie échoué en France sur la thématique des nanotechnologies. Ce manque pourrait être lié au fait que peu de recherche scientifique a été consacrée à l'étude du risque pour la santé des êtres humains ou pour l'environnement. Le principe de précaution qui est désormais présent dans la Constitution Française affirme que l'incertitude ne doit pas être un motif pour différer des décisions susceptibles d’éviter des dangers possibles. En fait, le Comité français pour la précaution et a prévention (CPP) a défini ce principe comme étant la prise de décision publique en situation d'incertitude scientifique. Les diverses incertitudes liées au champ des nanotechnologies ont conduit l’Afsset, agence pour la sûreté sanitaire dans le contexte professionnel, dans son rapport annuel 2008, à considérer les nanomatériaux comme des substances potentiellement dangereuses pour lesquelles le contrôle du risque rend nécessaire le contrôle de l'exposition. Le contrôle du risque repose sur la capacité d’estimer la probabilité de l'occurrence d'un danger, c’est-à-dire l'évaluation d’un risque en tant que représentation la plus simple d'une situation d'incertitude.

Le Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) a émis un avis en 2007 (avis N° 96) sur les questions éthiques soulevées par les nanosciences, les nanotechnologies et la santé. Comme le code de conduite de la Commission Européenne, il a appelé à des efforts importants sur les questions de standardisation et d'étalonnage, sur les aspects de recherche et développement, sur la nanométrologie afin de concevoir plus d'instruments pour la détection et l'identification des nanoparticles, ainsi que pour permettre l’élaboration d’une loi Européenne similaire aux directives « REACH » pour des nanoproduits. Cet avis a également soulevé la question centrale du manque de recherche fondamentale devant ses contreparties technologiques. Il concluait que nous ne devrions pas permettre aux nanotechnologies de supplanter les nanosciences.

En fait, mettre en priorité de calendrier un équilibre entre la performance technologique, la rentabilité commerciale et la perception de risques potentiels ne devraient pas masquer la dimension éthique de la relation entre l’homme et la machine soulevée par les nanosystèmes (l’homme « augmenté », le transhumain, …). Celle-ci, en fin de compte, pointe une menace pour le respect des êtres humains.

 

Partager cet article
Repost0
4 avril 2011 1 04 /04 /avril /2011 18:44

 Nice-avril2011Vendredi 1er avril, et ce n'était pas un "poisson", j'ai eu la chance de participer à une journér régionale d'éthique organisée par l'Espace Ethique Azuréen et le CCNE. Quelle joie de voir rassemblées près de sept cent personnes avides de se confronter à des questionnements éthiques et de les discuter !

Voici le texte de l'intervention qu'il m'a été permis de faire lors de  cette journée :

 

Introduction

Par profilage médical, on entend un ensemble de nouveaux services à la personne regroupant essentiellement l'accès direct du consommateur à l’imagerie corps entier au titre de « bilan de santé », et le profilage génétique personnel pour l'évaluation d'une susceptibilité individuelle à telle ou telle maladie. Il s'agit, dans les deux cas, de technologies existant en santé publique pour le diagnostic, qui sont, depuis ces dernières années, proposées en accès direct à des personnes sans symptômes médicaux particuliers.

Le Nuffield Council on Bioethics a récemment rendu public un rapport sur cette problématique, sous le titre « Profilage médical et médecine en ligne : éthique du « soin de santé personnalisé » dans une ère de consumérisme ». L’important travail du Nuffield Council on Bioethics prend sa source dans l’enthousiasme instinctif que beaucoup d’entre nous ont pour l’évolution très rapide des technologies médicales. Il tente d’apporter une analyse et même des réponses à l’outrage provoqué par les prétentions et les revendications scientifiques de sociétés pharmaceutiques qui souhaitent créer dans la population des besoins, qualifiés de médicalement justifiés. En effet, les promoteurs d’un accès direct du consommateur au profilage génétique, à l’imagerie corporelle et aux sites Internet qui offrent des conseils médicaux, prétendent ouvrir une nouvelle ère de « soins de santé personnalisés ». Comment ne pas explorer cette audacieuse revendication, en déterminer la signification et ce que peuvent en être les enjeux éthiques ?

Inégalités

Chacun le sait, nous ne sommes pas tous égaux devant la maladie et la mort. Cette inégalité tire son origine de facteurs multiples, et surtout de leur combinatoire : certains sont individuels tels que l’hérédité, le sexe, l’âge, comportementaux comme le mode de vie, la nutrition ; des facteurs socio-économiques tels que l’activité professionnelle, les revenus, le logement, ou l’accès aux soins.

Un rapport établi par Sir Michael Marmot et ses collègues en 2010 sur les inégalités face à la santé au Royaume Uni est intitulé : « Fair society, healthy lives », ce que l’on pourrait traduire par « société juste, vies saines », même si la traduction de « fair » par « juste » est un peu réductrice. On y lit : «  Pris ensemble, les déterminants structuraux et les conditions de vie quotidienne constituent les déterminants sociaux de la santé et sont les responsables principaux des inégalités … ».

Il est certain que nous ne sommes pas égaux devant la maladie et que l'hérédité comporte ses composantes subtiles de diversité qui font, par exemple, que certains grands fumeurs ne vivront jamais la dévastation qu'est le cancer du poumon tandis que la majorité d'entre nous prend ce risque considérable à chaque bouffée de cigarette. Ce qui est vrai pour le risque l'est également en ce qui concerne les traitements car ils ne sont que rarement adaptés à la personne.

Ainsi, l’hérédité est un facteur d’inégalité. On pourrait donc, à première vue, penser que le développement de tests génétiques ouvrant à la prévention de maladies héréditaires devrait être facteur de réduction de cette inégalité.

Mais, l'avènement de ces tests génétiques en santé publique soulève des interrogations multiples, notamment éthiques. Adressés à leurs débuts aux maladies dites « rares », et qui le ne sont pas tant que cela, ils semblent se généraliser vers tout un ensemble de prédispositions et semblent désormais d’intérêt immédiat pour la prise en charge médicale. On parle aujourd’hui « d'examens des caractéristiques génétiques d'une personne » (décret du 23 juin 2000). Il faut différencier les tests génétiques chez un patient présentant déjà des symptômes qui sont réalisés dans un contexte clinique, et ceux dits de médecine prédictive qui concernent des personnes asymptomatiques.

Le magazine « Forbes » estime que le marché des tests génétiques pourrait peser jusqu'à 77 milliards d'euros.

Génétique et génomique

Tout d’abord, il existe un phénomène tangible, clair et bien connu qui est que les enfants ressemblent à leurs parents … Mais, malgré ce qu'on apprend aux élèves des classes primaires, on ignore presque totalement commence cela fonctionne.

Nous sommes nombreux dans cette assemblée, et je crois donc qu’il ne m’est pas difficile d’introduire la notion de phénotype : nous sommes tous différents, et cela se voit. Nous sommes très semblables, mais tous différents. De tous temps, ce sont de telles différences qui ont justifié bien des excès et des exclusions. Pourtant, la différence, même lorsqu’elle est d’origine génétique, n’a pas attendu notre époque pour être stigmatisée. La première différence génétique qui a été de tout temps reconnue est celle basée sur la présence ou l’absence d’un chromosome Y. Le sexisme a toujours existé, même alors que la génétique n’était pas encore née !

Gregor Mendel (1822-1884), un moine tchèque, passionné de botanique a choisi les pois pour établir les lois fondamentales qui définissent la manière dont les caractères héréditaires se transmettent de génération en génération … Il a créé la GÉNÉTIQUE ! Il s’agit donc d’une discipline jeune, à peine plus de cent cinquante ans ! Science récente, mais dont les progrès technologiques phénoménaux qui l’accompagnent la créditent de pouvoirs colossaux. Ces progrès ouvrent la voie à une banalisation de l'accès à l'information génétique. Ces avancées formidables nous placent également devant des devoirs inédits et des responsabilités nouvelles qui laissent penser que la limite principale au développement de la génétique et de la génomique humaine n’est plus, ou ne devrait plus être de l'ordre du « progrès » technique mais de la réflexion éthique.

On parle beaucoup d’information génétique. En effet, le gène, qui est le déterminant héréditaire d’un caractère, nous nous sommes référé au phénotype il y a un instant, est, ainsi que le rappelle souvent mon ami Pierre-Henri Gouyon, de l’information et non de la matière. Pourtant, cette information a un support. Ce support primaire du gène est l’ADN présent dans nos chromosomes, ainsi que Avery, MacLeod et McCarty l’ont démontré en 1944. Le génome rassemble tous ces gènes, en même temps que beaucoup d’ADN dont nous ne savons pas très bien à quoi il sert.

Notre ADN comporte 3 Milliards de paires de bases, un alphabet à quatre lettres A, T, G, C. Il est le même dans chacune des quelque 100 000 Milliards de cellules de notre corps qui pourtant ont chacune leurs particularités et leurs fonctions. Ceci indique d’emblée que le niveau d’information présente dans la séquence de l’ADN n’est pas seul en charge de la confection et du fonctionnement de chaque cellule de l'organisme, et de l'organisme entier.

Il existe un décalage important entre la recherche fondamentale en génétique et en génomique et la représentation qu’en a la société. Ce décalage peut être entretenu par le discours même des biologistes moléculaires. C’est un discours fait de métaphores liées en particulier à l’informatique : la génétique est présentée comme un « programme » fondé sur un « codage », et incluant des « serrures », des « séquences », des « lettres », etc… Si tout est codé dans un alphabet immuable, comment échapper au déterminisme ?

La recherche sur le génome humain a progressé de façon formidable, dans tous les sens du terme : à la fois remarquable, extraordinaire, et terrifiant. N’est-il pas terrifiant, en effet, d’entendre certains réduire l’homme à sa complexion génétique, et donc à son génome ?

On a pu établir la séquence de l’ADN présent dans le génome humain. La première de ces séquences a été rendue public en 2001-2003. Elle a représenté 13 ans de travail pour un montant de l’ordre de 3 milliards de dollars. En 2007, deux scientifiques de renom ont fait établir la séquence de leur ADN en quelques mois et pour, chacun, moins d’un million de dollars, soit trois mille fois moins que la première séquence. Aujourd’hui, la même chose peut être réalisée en huit jours pour moins de $ 10 000, dans deux ans pour moins de $ 1 000, et on nous annonce qu’en 2018, ce serait fait en quelques secondes pour $ 100.

Par delà les chiffres, la masse considérable d’informations que les techniques les plus modernes de la génomique nous apportent nous donne un certain vertige. Nous avons aujourd'hui une masse d'éléments d'information, et la question demeure quant à la nature de l'information réelle et utile, c’est-à-dire utilisable, qu'ils nous apportent. Nous sommes encore très loin de comprendre le sens du message dont nous sommes capables de lire les lettres.

Ne négligeons donc pas le temps qui sera nécessaire pour progresser dans la compréhension, et celui qu'il faudra pour que la Science soit en mesure d'interpréter tel ou tel phénomène. La soi-disant « révolution génétique » a encore une immense marge de progrès devant elle.

Révolution génétique

Pourtant, il y a peu de temps encore, Geoff Carr, éditeur scientifique de la revue The Economist, prédisait que « la révolution génétique améliorerait diagnostic et traitement, qu’elle nous permettrait de manipuler les animaux, les plantes, les champignons et les bactérie pour le mieux-être de l’homme, et qu’elle révèlerait avec un luxe de détails ce qui fait précisément de nous des êtres humains ». Rappelons ici que nous partageons 70 % de nos gènes avec … La banane !

Ce lyrisme fantasmatique de l’ignorance qui témoigne de la fascination qu’exerce la technoscience peut être confronté à ce qu’écrivait Michel Freitag dans L’oubli de la société :

« En face de la guerre des étoiles, il y a la faim, le manque d’eau, l’errance.  

Face à la "révolution informatique", il y a l’éducation gâchée, l’analphabétisme. 

Face à la "création" de nouvelles espèces biologiques, il y a la menace qui pèse sur celles qui existent déjà dans leur propre "savoir-vivre", leur propre genre. 

Face à l’affirmation du "tout est possible", il y a l’évidence sensible, morale, esthétique que tout ce qui compte existe déjà, sauf la justice entre les hommes. »

Bien sûr, dire que la génétique et la génomique peuvent apporter beaucoup à la médecine relève de l’évidence. S’il est admis par tous que la connaissance fondamentale en biologie sert de base aux progrès de la médecine tant dans le diagnostic que dans la thérapeutique, il est non moins évident que la génomique, dans son acception la plus large, représente un élément déterminant de cette connaissance. Mais un élément seulement. Elle nous met sur la piste de la « mécanique » des gènes associés à des maladies fréquentes ou rares (orphelines) et de la complexité de leurs interrelations. Déjà de nombreux gènes ont été identifiés, dont les altérations conditionnent la susceptibilité à certains types de cancers, à l'hypertension artérielle, au diabète, à l'obésité, à l'athérosclérose, à des maladies infectieuses, à la maladie d'Alzheimer et à des désordres mentaux.

La « biologisation » et la « généticisation » sans précédent du discours social font le lit de fantasmes ancestraux, tels que ceux de l’enfant parfait, voire de la soi-disant amélioration de l’espèce humaine, l’homme « augmenté ».

Le film d’Andrew Niccol «  GATTACA », film de science presque fiction de 1997, présentait une société fondée sur un eugénisme libéral. Les enfants y naissent après un diagnostic préimplantatoire afin de s'assurer qu'ils possèdent les meilleurs traits héréditaires de leurs parents. Si la discrimination génétique est interdite par principe, elle y est mise en pratique dans les faits et facilitée par une biométrie génétique d'utilisation instantanée. Le film explore l'idée d’un destin entièrement génétique dont le héro, Vincent Freeman (« homme libre »), démontre le caractère illusoire et faillible. Vincent, être imparfait, puisque né en dehors d’une sélection génétique, et porteur de facteurs de risque identifiés qui doivent le conduire à mourir précocement, dépasse ses insuffisances par la force de la volonté et de l'esprit, à l’instar de personnalités du monde réel comme Albert Einstein et son cerveau hypertrophié à gauche, Michel Petrucciani et sa maladie osseuse, l’ostéogenèse imparfaite, Abraham Lincoln, Félix Mendelssohn ou Sergueï Rachmaninov et le syndrome de Marfan, ou Wolfgang Amadeus Mozart dont certains prétendent qu’il était atteint de la maladie de Gilles de la Tourette.

La finalité d’un diagnostic génétique varie d’une maladie héréditaire à une autre, dépendant à la fois de sa sévérité, de son caractère mono- ou multigénique, de son mode de transmission (récessif ou dominant), de la pénétrance des mutations, c’est-à-dire de la fréquence à laquelle le porteur d’une mutation déclenchera la maladie, ou de leur corrélation avec différentes formes de la maladie (relations « génotype / phénotype »), … Pour certaines maladies, le diagnostic génétique donne accès à des mesures thérapeutiques ou préventives efficaces. Il est donc justifié médicalement. Pour d’autres, le diagnostic répond principalement au désir de la personne de se savoir porteuse d’une prédisposition à telle ou telle maladie. Mais il convient tout d’abord de respecter le droit de savoir ou de ne pas savoir ! Savoir pour quoi, savoir pour qui. Il est intéressant de constater que ceux qui attendent le plus du profilage génétique n’en sont pas les sujets, c’est-à-dire ceux qui paient pour l’obtenir. Non, il s’agit des chercheurs, certes, mais également tous ceux dont le profit trouverait une marge de progrès significative en définissant mieux des populations, des risques. Ceux à qui parlent les statistiques, puisque le risque est statistique.

Médecine prédictive et médecine personnalisée

Certes, le profilage génétique, en nous donnant accès à une évaluation des associations entre variabilité génétique, physiologie, et pathologie (au niveau du risque et de la thérapeutique), ouvre à de nouveaux domaines de la recherche moderne en biologie comme la pharmacogénomique. Elle représente la base de ce que certains qualifient aujourd’hui de « théranostic », mot qui résulte de l’association des mots : thérapeutique et diagnostic, et d’autres de médecine personnalisée. Elle permet de choisir le traitement en fonction de la réaction de chaque individu, de son fond génétique. Il s’agit de définir et d’identifier de nouveaux, et toujours plus de biomarqueurs, indicateurs à la fois d’efficacité thérapeutique et de toxicité potentielle liée à des facteurs génétiques, d’en évaluer la pertinence pour un patient donné, et de les suivre au cours du traitement. On peut ainsi imaginer la confection de « médicaments sur mesure », puisque le réel défi des nouveaux traitements est bien celui de la réponse à la diversité, celui de l'adaptation personnelle, de la rationalisation des ciblages thérapeutiques et de la combinaison des traitements. La médecine moléculaire personnalisée répondra de mieux en mieux au défi de la diversité en abordant la connaissance de la complexité.

Mais pour bénéficier d’un tel progrès, il faudrait que le patient partage tout ou partie de son identité génétique avec son médecin, sa caisse de Sécurité sociale. On rejoint là tout un débat sur le contrôle des informations présentes dans un dossier médical personnel. De plus, le « sur mesure » a un coût : plus possible d’écouler des blockbusters, ces médicaments produits en millions d’exemplaires. Le sur mesure en santé, est, comme le sur mesure dans la confection, réservé aux plus riches. Ainsi, non seulement la pharmacogénomique ne peut pas profiter aux pays dont les ressources sont insuffisantes, mais même dans les pays dits « riches », les inégalités s’accroissent : les génériques de médicaments chimiques à large spectre pour les uns, la thérapeutique personnalisée pour les autres.

Une emphase est mise actuellement sur cette « personnalisation » accrue de la médecine préventive et thérapeutique. Je partage l’avis du Nuffield Council on Bioethics qui pense que la plupart des revendications pour un diagnostic et un traitement plus individualisé semblent être surestimées et doivent être traitées avec prudence. Cette «personnalisation» n’est sans doute pas un bien absolu. Ces progrès sont supposés donner aux individus un meilleur choix et un meilleur contrôle de leur propre santé, et leur fournir une sorte d'assurance de « bonne santé » (détection de la maladie à un stade précoce, par exemple). Mais ils peuvent aussi provoquer confusion et/ou anxiété, conduire à des procédures invasives et inutiles, et donc des risques supplémentaires. Ils placent la société devant de nouveaux dilemmes éthiques, devant des choix politiques d’équilibre entre consumérisme et responsabilisation, entre choix individuels et nécessité d'assurer l'équité au sein de la population (partage des risques financiers en matière de santé publique, par exemple).

Pour revenir sur un versant plus positif, le conseil génétique est là pour aider les personnes susceptibles de transmettre une affection génétique et leur famille, à comprendre la maladie et les risques afférents, mais également pour évaluer, dans un contexte (psychologiquement) adapté, les différentes options en matière de choix de vie et de reproduction.

Les « résultats » vendus par les sociétés de profilage génétique font, eux, appel, dans le cadre d’une autonomie exacerbée, aux responsabilités de leurs clients vis-à-vis de leur santé, sans expliquer quelle responsabilité cela implique. Les risques annoncés étant par essence ambigus, est-il concevable de devoir changer de style de vie sur la seule base de résultats bruts, sans l’aide d’un médecin pour interpréter les risques statistiques ? Puisque l’existence d’un risque implique que l’on pourrait parfaitement de pas développer les différentes maladies qui sont pronostiquées au terme du prétendu profilage, est-il raisonnable d’informer les membres de la famille, les assureurs ou les employeurs de ces risques potentiels ?

Déjà aux Etats-Unis, les services de police ou la justice peuvent consulter les dossiers sur demande. Pis encore, la société 23andMe qui tient une place de leader dans le profilage génétique personnel, indique dans ses conditions de vente qu’elle s’approprie l’ADN de ses clients : « Votre salive, une fois qu’elle nous est soumise et que nous l’avons analysée, devient notre propriété » !

Le premier risque est donc, à mon sens, celui de la perte progressive de l’intimité génétique. Si l’information générée par le profilage génétique, et plus généralement par le profilage médical, devient accessible, et pourquoi pas libre d’accès, il y a plus qu’un risque, il y a DANGER.

Et le corollaire de ce danger est la création d’une sous-classe de « lépreux génétiques » à qui des droits fondamentaux, tels que ceux énoncés dans l’article 25 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948[1], le travail, les assurances, le logement, le mariage, le droit à avoir des enfants,  pourraient être refusés.

 

En sorte de conclusion, je vous laisse sur cette phrase de Guillaume Le Blanc,  philosophe de la précarité, de l’exclusion, de l’invisibilité sociale : « L’éthique tire sa valeur de l’attention qu’elle confère aux figures de la vulnérabilité »

=================================



[1] l’article 25 de la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948 affirme plus qu’il ne définit le droit à la santé : « Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires. »

Partager cet article
Repost0
7 mars 2011 1 07 /03 /mars /2011 23:00

Smart-DNANous avons appris, par un communiqué de l’Agence France Presse, que des chercheurs bordelais veulent créer une application pour les Smartphones afin d’offrir à l’individu d’utiliser les informations contenues dans la séquence de son propre ADN, une séquence qui pourra être obtenue de compagnies privées pour quelques centaines d’euros dans un avenir relativement proche.

 

En France, les tests génétiques, et a fortiori le séquençage de son ADN ne sont autorisés que dans trois cas : la justice, la médecine, et la recherche. Hors de ces cadres, l’utilisation des tests génétiques est punie par la Loi. Ainsi, la compagnie (Portable Genomics) que les chercheurs bordelais veulent créer pour utiliser notre séquence d’ADN, ne peut s’établir qu’hors de nos frontières, à San Diego dans le cas d’espèce. Le nombre de reprises du communiqué de l’AFP par différents médias semble indiquer l'importance de la chose ... Qu’il serait  dommage de laisser « fuir » une telle innovation Une fois de plus, la France n’est-elle pas à la traîne en ne reconnaissant pas l’intérêt vital qu’il y a d’être à la pointe de la technoscience ? .

Ceci me rappelle une phrase de Pierre Desproges : « L'homme de science le sait bien, lui, que seule la science, a pu, au fil des siècles, lui apporter l'horloge pointeuse et le parcmètre automatique sans lesquels il n'est pas de bonheur terrestre possible. » Décalé par rapport au sujet de ce billet ? Pas tant que cela finalement !


Dans un éditorial déjà ancien[1], mais toujours d’actualité, la revue Nature écrivait, sous le titre « mon génome, et alors ? » que la recherche doit progresser dans l’aide qui est nécessaire pour permettre aux individus d’utiliser leur information génomique et pour les protéger de son utilisation par d’autres. En effet, si l’ère de la génomique personnelle est arrivée, nombreux sont les défis inédits, et non anticipés, que chacun rencontre, et rencontrera plus encore à l’avenir. Ceci concerne l’utilisation de l’information présente dans la séquence de l’ADN, et les limites de ce qu’elle peut nous apporter dans la connaissance de notre santé future. Quelle est la valeur prédictive d’associations génétiques entre des variations individuelles de séquence et des maladies qui, pour la plupart, sont multigéniques[2] et relèvent de traits quantitatifs ?

Les promoteurs et hérauts de cette génomique prédictive, dont les détracteurs parlent en termes de « boule de cristal ADN », nous vantent les services rendus et l’intérêt médical de ces tests génétiques. Ils prétendent répondre à des attentes du public, alors même qu’ils en créent le besoin en faisant croire qu’on ne peut plus aujourd’hui se passer de la connaissance de son « avenir médical ». Ils reprennent, bien sûr, les quelques exemples pour lesquels une prédisposition, même peu significative, permet un suivi de santé, une prévention. Et régulièrement, revient la prédisposition aux cancers du sein. En effet, si elle a la malchance d’hériter d’un gène BRCA1 muté, une femme a un risque important de développer un cancer du sein ou de l’ovaire. Il existe un débat sur l’intérêt médical d’une prophylaxie fondée sur une ablation précoce des deux seins et des ovaires. Mais qu’en dire sur le plan éthique et surtout humain ? Il reste que, connaissant sa possible prédisposition, une femme peut se faire suivre plus précocement et plus assidûment que dans le cadre du dépistage de routine qui, fort heureusement, s’est mis en place ces dernières année. Mais, quand je lis, dans le communiqué de l’AFP : « Une mention "cancer du sein" accompagnée d'une icône rouge soulignera par exemple une prédisposition à cette maladie tandis qu'une icône verte indiquera l'absence de risque », je bondis, j’explose ! Seuls 5 % des cancers du sein sont hérités sur un mode monogénique[2] (tels qu’une mutation du fameux gène BRCA1) et sont donc susceptibles de lancer une icône rouge. Donc, non seulement on inquiète parfois inutilement, mais on rassure dangereusement, puisque le risque de développer un cancer du sein est vingt fois plus important en dehors d’un cadre héréditaire simple (monogénique).

Pour le reste, et ainsi que je le dis souvent si l’on me « prédit » un risque de 22 % d’avoir un cancer de la prostate, dois-je m’intéresser à ces 22 % ou aux 88 % de chances de ne pas en avoir. D’ailleurs, si je suis dans ces 22 %, mon risque sera de 100 %. Mais, étant donné que le risque moyen dans la population moyenne d’Europe de l’ouest est d’environ 17 %, je m’interroge toujours sur la signification de cette prédiction. Ne va-t-on pas inquiéter inutilement des personnes qui ne vont pas forcément déclarer ces maladies ? La valeur prédictive des associations qu'on peut faire entre génome et santé est très en deçà des attentes. Elle ne parvient pas non plus à accroître significativement la valeur de facteurs plus traditionnels de prédiction de la bonne santé, tels que le mode de vie et l'histoire familiale.

Quant à l’utilisation du Smartphone comme véhicule d’information génétique à destination de son médecin traitant, sorte de DMP (dossier médical personnel[3]), on veut nous faire croire à son intérêt a priori. Plus qu'une révolution génétique, il s'agit bien d’un questionnement éthique et d'une rupture sociologique, celle de la confrontation de l'homme, des hommes, avec des informations qui ont à voir avec leur avenir personnel, et qui sont susceptibles de porter leur intimité génétique sur la place publique[4]. Nous sommes dès à présent confrontés aux défis que représente l'utilisation de cette information, dans un contexte où la prédiction basée sur le code génétique est limitée par l’interaction complexe des gènes, des facteurs environnementaux et l’histoire biologique des individus.


En fait, l’intérêt scientifique de séquencer l’ADN de nombreux individus est évident pour la connaissance de la variabilité génétique entre les hommes. A terme, il est certain dans la compréhension des relations entre génome et environnement, et donc dans le domaine de la santé publique. Mais il est discutable aujourd’hui dans son applicabilité à l’individu, et dans l’intérêt qu’il a pour celui qui paie des officines privées pour l’établir. Son utilité immédiate est certainement pour ceux pour qui connaître une population est crucial, comme les assureurs, ceux qui veulent « gérer » des flux migratoires, ou ceux qui veulent obtenir un maximum de certitudes sur les performances d’un collaborateur ou de potentielles inadaptations (génétiquement déterminées ?) à un emploi. Or : « Nul ne peut faire l'objet de discriminations en raison de ses caractéristiques génétiques » (article 16-13 du Code civil).

 

Il existe un décalage important entre la recherche fondamentale en génétique et en génomique et la représentation qu’en a la société. Ce décalage peut être entretenu par le discours même des biologistes moléculaires. C’est un discours fait de métaphores liées en particulier à l’informatique : la génétique est présentée comme un « programme » fondé sur un « codage », et incluant des « serrures », des « séquences », des « lettres », etc. … Si tout est codé dans un alphabet immuable, comment échapper au déterminisme ? La recherche sur le génome humain a donc progressé de façon formidable, dans tous les sens du terme : à la fois remarquable, extraordinaire, et terrifiant. N’est-il pas terrifiant, en effet, d’entendre certains réduire l’homme à sa complexion génétique, et donc à son génome ?

 

Enfin, il faut, devant ces innovations, ouvrir le débat sur un point qui est considéré comme une évidence par les développeurs de sociétés telles que Portable Genomics[5] : « Notre génome est personnel. Pourquoi n'y aurions-nous pas accès ? ». Le fait que notre génome nous appartienne ne peut pas être affirmé péremptoirement. C'est un sujet de débat. S’il existe une non patrimonialité du corps humains (qui nous empêche, rappelons le, d’en faire ce que bon nous semble), la Loi ne devrait-elle pas affirmer une non patrimonialité du génome (ce qui, incidemment, pourrait en limiter la brevetabilité). N'avons nous pas une responsabilité vis-à-vis des autres, nos ascendants et nos enfants, entre autres. C'est un patrimoine que nous avons reçu et que nous transmettons … A manipuler avec précaution !



[1] Nature Vol 456, issue N° 7218 - 6 Novembre 2008

[2] Pour simplifier, on peut dire que de nombreuse maladies génétiques rares sont transmises par un seul gène muté, défectueux, il s’agit de maladies monogéniques. Parfois, la probabilité de déclencher la maladie, on parle de pénétrance » est de, ou voisine de 100% si l’on hérite du mauvais gène. Parfois, elle est inférieure à 100%, et le risque ne peut être calculé que sur une base populationnelle. La statistique ne s’applique pas à l’individu. Mais la plupart des maladies génétiques, ou ayant une composante génétique, n’obéissent pas à la situation simple un gène / une maladie. Plusieurs gènes mutés, ou des combinatoires de différents variants de différents gènes (on parle de formes alléliques) interviennent. Dans ces cas, on peut reconnaître des associations, forcément partielles, entre un variant donné et une plus forte prédisposition à telle ou telle maladie.

[3] Voir l’avis N°104 du CCNE (mai 2008) : « Le "dossier médical personnel" et l'informatisation des données de santé »

[4] On lira, avec intérêt, le rapport du Nuffield Council on Bioethics intitulé « Profilage médical et  médecine en ligne : éthique du « soin de santé personnalisé » dans une ère de consumérisme » qui place les techniques abordées ici dans un contexte beaucoup plus vaste.

[5] Cité dans le communiqué de l’AFP

Partager cet article
Repost0
6 mars 2011 7 06 /03 /mars /2011 11:08

Manipulation-cellulaire.jpg

La découverte récente de la possibilité de reprogrammer des cellules adultes en cellules pluripotentes (des cellules qui peuvent se différencier en une grande variété de cellules spécialisées de l’organisme) a engendré de très grands espoirs tant dans le domaine thérapeutique (médecine dite régénérative) que pour l’étude des maladies ou la compréhension des processus impliqués dans le développement embryonnaire.



Différentes techniques peuvent être utilisées pour obtenir cette reprogrammation, et de leurs progrès dépend notre capacité à les faire ressembler au plus près des cellules souches embryonnaires.

Cette reprogrammation, qui n’est pas génétique mais épigénétique, se produit naturellement lors des étapes de gamétogenèse et de fécondation lorsque cellule unique - la cellule œuf - devient, pour quelques générations seulement, totipotente. C’est-à-dire qu’elle possède la capacité de produire les plus de deux cents types cellulaires différents qui constituent un organisme adulte. Ce processus épigénétique implique des modifications de l’ADN, des méthylations en particulier, qui affectent des régions, des sites précisément déterminés du génome. Le profil de méthylation de l’ADN d’une cellule est donc une de ses caractéristiques fondamentales. Globalement, le profil de méthylation de l’ADN de cellules iPS est très semblable à celui d’une cellule souche embryonnaire. Mais comme le diable se cache dans les détails, seule une étude telle que celle menée au Salk Institute[1], une étude base par base, a permis de détecter des différences très significatives de méthylation entre ces deux types cellulaires, notamment dans des régions  du génome dans lesquelles le profil de méthylation est très distinct entre des cellules souches embryonnaires et des cellules somatiques adultes.

Deux autres études publiées également dans la revue Nature[2] rapportent que des cellules adultes reprogrammées iPS contiennent plus de mutations que les cellules normales. Une de ces études a trouvé une moyenne de six mutations ponctuelles dans chacune des 22 lignées cellulaires iPS qui ont été transformées par diverses méthodes. L'autre démontre que des lignées de cellules iPS présentent un nombre plus important de variations de nombre de copie - petites délétions ou duplications - que les cellules adultes dont elles dérivaient.

Une fois de plus, notre emballement à penser que nous savons beaucoup plus que nous ne savons en réalité, nous a fait assimiler cellules souches embryonnaires et cellules adultes reprogrammées iPS, et croire que nous pouvions impunément utiliser l’un pour l’autre. Les mutations observées dans les cellules iPS rendent leur utilisation en tant qu'agents thérapeutiques plus inquiétante et repoussent cette utilisation vers un futur dans lequel nous en saurons beaucoup plus sur leur nature exacte, leur physiologie pour qu’elles deviennent des outils sûr et efficaces et cette médecine régénérative.

 

Face à ces réalités scientifiques, on trouve une autre forme d’emballement qui repose sur ce que je qualifierais d’« alibi éthique ». Face à la terreur qu’inspire l’utilisation de cellules souches embryonnaires humaines et le risque qu’elle engendre de réification de l’embryon humain, la découverte par Yamanaka[3] de la possibilité de reprogrammer des cellules adultes en cellules pluripotentes, est apparue comme une sorte de panacée éthique. On a pu lire, par exemple, sur le site Ichtus : « Parce que la technique des cellules iPS permet de « se passer des recherches sur l’embryon, ce qui est, in fine, le but recherché par la bioéthique » selon le mot juste de Jean-Marie Le Méné, elle réconcilie indéniablement la science et l’éthique. Les responsables politiques sauront-ils en tenir compte alors qu’est prévu en 2010 le réexamen par le Parlement de la loi de bioéthique ? ». Ou encore, sur le site Généthique : « Cellectis tient à souligner que "les iPS ne se heurtent à aucune des questions éthiques liées aux cellules embryonnaires". (…) Une recherche performante dans le domaine de la thérapie cellulaire est possible sans abdiquer l'éthique. » !!!!!!!!

Ainsi, il semble, pour certains, que l’éthique se résume à utiliser l’embryon humain ou pas. L’histoire, récente et donc courte, des cellules iPS nous montre que le questionnement éthique est un peu plus complexe. Il nous interroge, par exemple, sur la légitimité d’utiliser le plus rapidement possible une technologie nouvelle sans même avoir pris le temps de vérifier son innocuité. Or, il était évident pour n’importe quel observateur attentif, que la manipulation de cellules, si brillante soit-elle, était susceptible d’engendrer des problèmes de sécurité sanitaire. Au moins autant si ce n’est plus que l’utilisation de cellules « naturellement » pluripotentes. Même le directeur scientifique de l’Académie pontificale pour la Vie l’a dit : « Il faut éviter aujourd’hui avec les cellules iPS de tomber dans le « hype », la surenchère, les promesses injustifiées et excessives ».


Nous ne sommes donc pas encore rendus au point où les cellules iPS représenteraient une alternative d’efficacité comparable aux cellules souche embryonnaires humaines telles qu’on puisse se dispenser de ces dernières. Et malgré leur « faible efficacité » en termes de thérapeutique qui a été soulignée[4] avec délectation par les adversaires de la recherche sur ces cellules souches embryonnaires humaines, celles-ci demeurent une référence, scientifique au moins.

 



[1] Lister et coll. Nature 471, 68-73 (2 February 2011)

[2] Hussein et coll. Nature 471, 58-62 (2 March 2011)

       Gore et coll. Nature 471, 63-67 (2 March 2011)

[3] Cell, 2007, 131 : 861-872

[4] “Les cellules souches embryonnaires KO ?” titre l’article d’Ichtus cité plus haut

 

 

Partager cet article
Repost0