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8 septembre 2013 7 08 /09 /septembre /2013 19:08
Nobelite aigüe

Un ami a eu la « sagesse » de quitter la recherche en biologie et de partir vivre en Afrique. En fait, je comprends aujourd’hui qu’il souhaitait peut-être se prémunir d’une maladie dont il m’a informé de l’existence, la Nobelite aigüe. Il m’a fait part d’un article scientifique intitulé « La Nobelite : une maladie commune chez les lauréats du prix Nobel ? », paru dans le très sérieux Clinical Chemistry and Laboratory Medicine [i].

Merci Nicolas !

 

J’ai lu cet article et ai décidé de le partager avec mes lecteurs pour au moins deux raisons. La première est que son auteur porte le doux prénom de « Eleftherios » (cela ne s’invente pas), et la seconde est qu’il a également commis un article dans la même revue, qui critique le facteur d’impact des journaux scientifiques dans l’évaluation des chercheurs. Un scientifique qui critique ce fameux et sinistre facteur ne peut pas être totalement mauvais. Alors, …

 

J’ai beaucoup de respect pour les lauréats du plus prestigieux des prix scientifiques, le Nobel. Leur science est, la plupart du temps, tout à fait remarquable. Du moins l’était-elle à l’époque des travaux qui leur ont valu ce prix… Diamandis nous rappelle que la plupart d’entre eux reçoivent le prix 20, 30, 40 et parfois 50 ans après leurs découvertes majeures, et qu’à l'époque de leur distinction, ils sont loin de leur prime jeunesse. Je pourrais ajouter, perfidement, que le prix ne récompense que la science, et qu’humainement, les lauréats ne valent pas forcément mieux que les milliards d’êtres humains qui n’ont pas reçu ni jamais ne le recevront [ii].

 

Alors, la Nobelite ? Il s’agit d’une affection qui peut les conduire à considérer que le Nobel est un certificat de compétence universelle, et donc accepter d’apporter leur prétendue expertise à des projets ou des entreprises qui sont au-delà de leurs capacités. Diamandis ajoute que le délai souvent très long qui sépare la découverte de l’attribution du prix devrait inciter à la prudence quand ces personnes voient offrir des postes très influents dans les universités et ailleurs.

 

Diamandis cite, par exemple, Linus Pauling seul, avec Marie Slodowska-Curie, à avoir reçu deux fois le prix Nobel dans deux catégories différentes. Scientifique brillant, engagé politiquement notamment contre les essais nucléaires. Un sacré bonhomme, si je puis me permettre… Mais cela ne l’a pas empêché de se fourvoyer dans des affirmations hasardeuses sur la possibilité de guérir le cancer avec des doses massives de vitamine C, ni de se ridiculiser pour la conception bâclée de ses essais cliniques, essais qui auraient nécessité qu’il ait une vraie compétence en épidémiologie, ce que les deux Nobels n’avaient pas suffit à lui procurer.

 

La publication d’Eleftherios (je peux vous appeler Eleftherios ?) m’a rappelé le fameux Principe de Peter (enfin, fameux dans les années 70), suivant lequel tout employé (les Nobels sont eux aussi des employés, et cherchent même à le rester au-delà du raisonnable) tend vers son niveau d’incompétence. Ce « principe » a été très discuté, critiqué notamment pour sa vision simpliste du monde. Mais, si on laisse de côté sa formulation principielle, on peut néanmoins constater que, particulièrement dans les « élites », on a tendance à proposer à celles et ceux qui ont prouvé leur haute compétence sur un sujet donné, d'intervenir dans un autre domaine dans lequel ils n’ont rien prouvé du tout. C’est ainsi qu’un scientifique ou un médecin brillant peut devenir un politicien médiocre ou un ministre lamentable.

 

La Nobelite semble donc ne pas frapper que dans le clan très restreint des lauréats du prix Nobel !

 

 

 

 

[i] Diamandis EP. Nobelitis: a common disease among Nobel laureates? Clin Chem Lab Med. 2013; 51: 1573-1574.

 

[ii] On peut, par exemple, lire la manière dont s’est déroulée la découverte de la structure de l’ADN, dont on fête le 60ème anniversaire cette année, ainsi que les propos qu’ont tenu plus tard deux de ses découvreurs, l’un étant ouvertement eugéniste et l’autre raciste de base… Cela n’empêchait pas l’un d’être très (trop ?) supérieurement intelligent et l’autre assez sympathique.

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commentaires

D
Tient ça me fait penser à Carlo Rubbia, prix Nobel de physique 1984, qui vient d'être nommé sénateur à vie en Italie. Mais pourquoi diable a-t-il accepté cela ? J'en connais aussi certains qui sont devenus de simples vieux papys, heureux de venir assister à quelques conférences de temps en temps, en toute simplicité et toujours avec des yeux qui pétillent quand ils entendent un bon talk.
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P
Eh oui, nous avons tous en tête des exemples de Nobels contaminés, mais, ainsi que tu le soulignes, il en existe également un bon nombre qui ont su résister au virus. Heureusement !!!