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17 juin 2008 2 17 /06 /juin /2008 17:24
Sous prétexte de remédier à la complexité de l'organisation de la recherche en France, le gouvernement veut en gommer l'originalité. L'originalité, c'est, par exemple, l'existence du CNRS, premier organisme de recherche français et en Europe, qui est mondialement reconnu.
Au sein de ce dernier, la Ministre dit avoir "identifié six domaines où le CNRS exerce un leadership et qu'il a vocation à coordonner sur le plan national" ("le Monde" du 20 mai 2008). Grandes absentes de la liste ministérielle : les Sciences de la Vie qui représentent presque un quart des forces vives du CNRS. Le "leadership" de ce domaine scientifique est attribué à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) et le Commissariat à l'énergie atomique (CEA).
POURQUOI ?
Il est symptomatique que la coordination d'une Science soit définie par des institutions à vocation appliquée, l'Inserm dans le domaine biomédical, l'INRA dans le domaine agronomique, et le CEA dans le domaine technologique. Il est dangereux que le pilotage des sciences de la vie en France leur soit confié. Il est toujours plus facile de faire comprendre l’intérêt d’une invention que celui d’une découverte. Ainsi, les scientifiques, et les biologistes en particulier, préfèrent souvent présenter les outils de leurs découvertes (performance technologique – « voyez, c’est merveilleux, on peut voir des objets de plus en plus petits, … »), plutôt que la démarche scientifique qui les y a amenés. Ils ont contribué à créer le lit de ce pilotage par l'aval.
Nous le paierons tous au prix fort.

Eliminer le "vivant" du CNRS au profit de trois autres acteurs du domaine ne peut certainement pas être compris comme une mesure d'intérêt publique, non plus qu'une simplification du paysage national de la recherche scientifique. On y voit bien plutôt la marque d'un règlement de comptes ou d'une mainmise sur un patrimoine scientifique de qualité qui honore le CNRS. Des recherches très fondamentales partant d'animaux aussi exotiques que l'étoile de mer ou l'oursin ont, par exemple, apporté des connaissances déterminantes sur le fonctionnement et la division de la cellule cancéreuse. Qu'en adviendra-t-il lorsque la prééminence médicale du domaine "bio", et l'intérêt (immédiat) de l'industrie pharmaceutique auront été gravés dans le marbre ?

Le CNRS est (était ?) le seul organisme en France, et sans doute dans le monde, qui ne se confine pas dans un sous-ensemble du Vivant, mais qui le prenne en charge dans toute sa dimension, y compris sa dimension interdisciplinaire. C’est sans doute là sa vraie singularité, plus encore que sa spécificité de recherche dite « fondamentale ». Ce qui se passe aujourd'hui démontre qu'il s'agit également de sa grande faiblesse.

S'il y a urgence à simplifier le paysage de la recherche française dans le domaine des sciences de la vie et éviter son morcellement actuel entre de trop nombreuses institutions (CNRS, Inserm, INRA, IRD, CEMAGREF, …), on pourrait peut-être réfléchir enfin à la mise en place d'un organisme « unique » et interdisciplinaire de recherche sur le Vivant établi sur ce principe de singularité. Il aurait sans doute sa justification, et possèderait peut-être un dynamisme que son appartenance actuelle au CNRS semble entraver. Cet "Institut du Vivant" aurait la charge de coordonner la Science biologique, et piloter l'aval, c'est-à-dire les applications médicales, agronomique ou biotechnologiques de cette Science, plutôt que de se laisser conduire par elles. Si la biologie fondamentale française veut se donner des chances de survivre à un niveau internationalement reconnu, elle se doit de renoncer à ses chapelles et ses divisions pour n'avoir qu'un étendard, celui de la SCIENCE.
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commentaires

A
quand est il de ces luttes sans fin entre mandarins dont l'egaux est plus destructif que constructif...dans une grande ville du sud...cela fait 20ans que nous subissons ces caprices de chef...ils jouent à "c'est pas toi qui l'aura c'est moi"tel des enfants dans un bac de sable!<br /> il serait surement trop abaissant qu'il se mettent autour d'une table pour discuter comment se renforcer...résultats...gaspillage d'argent, duplication d'équipement, etc etc...bien loin de ce que le grand public peut imaginer de grand scientifiques...même si parfois ils sont petits par lal taille. tout ceci ne serait pas grave, si il n'y avait des attentes de la société civile...cancer, et autres font des ravages.<br /> malheureusement, ces attitudes sont autant d'invitation pour un gvt de faire le menage dans ce qui j'en conviens apparait vu de l'intérieur et extérieur comme un foutoir grand dévorateur d'argent public et faiblement générateur de richesse. c'est bien pcq j"ai encore un idéal que je me bas pour faire changer cet état de fait.
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P
<br /> Merci, Andi, de garder un idéal. C'est vrai qu'il y a chez les "grands" scientifiques, comme chez tous les "grands hommes", de bien petites gens au sens humain du terme. Mais si ce "foutoir" dont<br /> vous parlez agace, voire désespère ceux qui tentent de conserver une éthique de la Science, il ne faut peut-être pas exagérer son côté "dévoreur d'argent public". Ce n'est pas au CNRS ou à<br /> l'université qu'on peu jeter par les fenêtres cinquante milliards d'euros en un tourne-main !! Quant aux "attentes de la société civile", il faut peut-être rappeler que le rôle des chercheurs ne<br /> s'arrête pas à répondre à ces attentes et ces questions. En faisant progresser la Science, toute la Science (ce qu'ils font plutôt bien, quoi qu'on en dise), et en participant aux débats de société<br /> (ce qu'ils font peu et mal, j'en conviens), ils doivent contribuer à l'élaboration de ces questions sociétales, et donc à la politique scientifique qui en découle.<br /> <br /> <br />
T
Cher Patrick, ta conclusion sur la création d'un Institut des Sciences du Vivant, qui prenne en compte toutes les dimensions de la biologie et place en amont la recherche fondamentale et en aval les aspects finalisés me semble d'Or. On (je) est (suis) néanmoins étonné de voir que cette proposition faite voilà 15 ans par Pierre Chambon, reprise depuis par d'autres, dont un ancien DSV, n'ait jamais pu aller plus loin que l'hypothèse de salon. N'est ce pas là l'expression des blocages français, coincés entre crispation sur les acquis sociaux (on ne change rien sinon on va dans le sens du Capital) et les lobbys anti-EPST qui veulent tout détruire pour ramener les mandarins au centre? Ceci amène une autre question, plus importante car concrète, quelle stratégie pour arriver à infléchir le mouvement et ne pas tomber dans le fossé de gauche (camarades tous unis contre la science asservie aux intérêts du grand Capital que SLR a repris) et le gouffre de droite qui revient à recentrer la biologie autour de la fac de médecine de Necker?
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P
<br /> Je partage ton interrogation sur le pourquoi. Il y a certainement plusieurs réponses. La première est que personne ne souhaite réformer quoi que ce soit si l'on n'est pas en période de crise aigue.<br /> Le deuxième tient peut-être au contenu des projets proposés par diverses personnes, dont Pierre Chambon il y a quinze ans. Une troisième vient de la primauté affichée du "biomédical" (je t'adresse<br /> à mon autre article du 17 juin, qui évoque, entre autres, les "noeuds de pouvoir" dans le domaine). Et puis, il ne faut pas oublier l'immense difficulté qu'il y a à changer les choses, notamment<br /> lorsque le changement conduit à démolir de l'existant. C'est une dimension que je peux comprendre, moi qui suis viscéralement attaché au CNRS et à son intégrité : il m'a fallu longtemps pour<br /> admettre que s'il n'était pas possible de réformer de l'intérieur, il devenait nécessaire d'envisager autre chose ...<br /> <br /> <br />
B
Les réformes s'empilent et ne semblent que devoir mener au démantelement de la recherche française. <br /> C'est déprimant...
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